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Tribune/Gabon : Le pari risqué du « Rassemblement des Bâtisseurs » devenu parti politique

Par JOI

L’annonce récente de la future transformation du Rassemblement des Bâtisseurs en parti politique a eu l’effet d’un coup de tonnerre dans le paysage politique gabonais. Ce mouvement, qui a joué un rôle central dans l’élection de Brice Clotaire Oligui Nguema à la présidence de la République, n’est plus une simple plateforme de soutien. Il deviendra désormais une entité politique à part entière, avec ses structures, ses ambitions… et ses conséquences.

Car derrière ce virage stratégique, se dessine une recomposition silencieuse mais profonde des équilibres au sein du camp présidentiel. Et avec elle, le réveil de tensions longtemps contenues entre les différentes forces qui ont contribué à porter le chef de l’État au pouvoir.

Une victoire construite sur une coalition hétéroclite
La force de la candidature d’Oligui Nguema reposait, rappelons le, sur sa capacité à fédérer bien au-delà des clivages classiques. Acteurs de la transition, organisations citoyennes, leaders communautaires, anciens cadres de partis traditionnels, jeunes entrepreneurs : tous ont convergé vers une même promesse de rupture et de renouveau. Cette dynamique pluraliste a trouvé refuge dans la plateforme Rassemblement des Bâtisseurs, qui a servi de socle pendant la campagne.

Mais cette diversité, si elle a permis une victoire éclatante, révèle aujourd’hui sa fragilité : chacun de ces groupes attend une reconnaissance, un espace, une place dans l’architecture politique post-électorale.

Un processus perçu comme exclusif
L’officialisation prochaine du Rassemblement des Bâtisseurs en tant que parti politique suscite donc de nombreuses interrogations. Pourquoi maintenant ? Qui en a décidé ? Qui en sont les membres fondateurs ? Quelles sont les orientations idéologiques ? Autant de questions sans réponses claires, alimentant frustrations et soupçons chez plusieurs soutiens historiques du président.

Certains dénoncent une manœuvre d’accaparement du pouvoir politique par un cercle restreint, au détriment des alliances nouées durant la campagne. D’autres s’inquiètent de la disparition de l’esprit d’union qui avait jusque-là caractérisé la démarche du président.

La guerre froide des légitimités
Plus profondément, c’est une lutte sourde pour la légitimité qui semble s’engager. À qui revient le mérite d’avoir « fait » Oligui président ? À ceux qui l’ont accompagné depuis les premiers jours de la transition militaire ? Ou à ceux qui ont structuré la mobilisation électorale sur le terrain ? Chaque camp défend sa version de l’histoire. Et désormais, chaque camp pourrait être tenté de se structurer à son tour, ouvrant la voie à une fragmentation du camp présidentiel.

La création du parti Rassemblement des Bâtisseurs pourrait donc paradoxalement affaiblir ce qu’elle entendait consolider : l’unité autour du président.

Quelle posture pour le chef de l’État ?
Dans ce contexte, la posture du président Oligui Nguema sera déterminante. Jusqu’à présent, il a veillé à garder une image de président au-dessus des partis, rassemblant toutes les énergies autour d’un projet national. Sera-t-il désormais perçu comme l’homme d’un seul parti ? Ou parviendra-t-il à maintenir l’équilibre délicat entre ses soutiens tout en impulsant un véritable projet de refondation politique ?

La réponse à cette question conditionnera la suite de son mandat, mais aussi la stabilité politique du pays.

En conclusion : un moment de vérité
La transformation du Rassemblement des Bâtisseurs en parti politique est un pari audacieux, voire risqué. Elle peut marquer la naissance d’un véritable instrument politique pour accompagner les réformes. Mais elle peut aussi cristalliser les frustrations, accélérer les divisions et nourrir les ressentiments.

Il revient désormais au président et à son entourage de faire preuve de lucidité, de sens politique et d’ouverture. Car à l’heure où le Gabon entame une nouvelle page de son histoire, il serait regrettable que les querelles de leadership étouffent les espoirs de renouveau portés par des millions de Gabonais.

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