Agriculture, élevage, dotations : le refus qui a ouvert la porte à la « vendetta » ?
Par Stive Roméo Makanga
Dans un contexte où la souveraineté alimentaire figure parmi les priorités affichées de la Transition, l’affaire entourant la Société Agropastorale du Gabon (AGROPAG) fait naître des interrogations majeures sur la gestion des ressources publiques et les limites entre intérêts privés et politiques d’État. Créée en mai 2024, cette société privée, dirigée par Guy Anicet Rerambyath, conseiller proche du Premier ministre Raymond Ndong Sima, semble bénéficier d’un ancrage institutionnel troublant, à commencer par sa domiciliation dans l’enceinte même de la Primature. Selon nos sources, une demande d’appui en matériel agricole, adressée par le Premier ministre et refusée par Jonathan Ignoumba, alors ministre de l’Agriculture, semble avoir marqué le point de départ d’une colère qui s’invite désormais de façon infâmante sur les réseaux sociaux. En effet, la sortie des deux syndicalistes du ministère de l’Agriculture contre l’ancien ministre du secteur, désormais affecté au ministère des Transports, semble avoir été aiguillonnée. C’est ce que croient de nombreux observateurs au fait du dossier. Voici pourquoi.
Tout commence avec la création le 15 mai 2024, de la Société Agropastorale du Gabon (AGROPAG), société anonyme (SA) dotée d’un capital de 50 millions de francs CFA. Avec des activités allant du développement des fermes agropastorales à la production, transformation, et commercialisation des produits agricoles, cette entité se présente comme un acteur incontournable du secteur. Cependant, sa domiciliation dans l’enceinte de la Primature, dirigée par Raymond Ndong Sima, Premier ministre de la Transition, engendre des interrogations légitimes.
Précisons pour ne rien occulter, que l’administrateur général d’AGROPAG, Guy Anicet Rerambyath, n’est autre que le conseiller chef du département Agriculture à la Primature, réputé très proche de Raymond Ndong Sima. Cette proximité soulève elle aussi une question essentielle : pourquoi une société de droit privé est-elle domiciliée dans les locaux mêmes de la Primature, un lieu qui devrait incarner la neutralité de l’État ?
Plus encore, certains observateurs affirment qu’AGROPAG serait une initiative personnelle de Raymond Ndong Sima. Une telle initiative, en pleine période de Transition où l’intégrité et la transparence sont des priorités affichées, jette le doute sur les véritables motivations derrière la création de cette entité privée.

Selon des documents consultés par nos soins, Raymond Ndong Sima aurait adressé une correspondance à Jonathan Ignoumba, alors ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, sollicitant de lui un appui matériel pour la ferme AGROPAG située à Ndendé. Cette requête comprenait la fourniture de moyens roulants, d’équipements agricoles et de divers matériels nécessaires à l’exploitation de la ferme.
Cependant, Jonathan Ignoumba, dans une lettre datée du 14 janvier 2025, avait opposé un refus catégorique. «(…)il ressort des documents communiqués à cet effet, notamment, la fiche circuit délivrée le 15 mai 2024 et la demande d’agrément technique d’exploitation subséquente que la SOCIETE AGROPASTORALE DU GABON, dont le sigle est AGROPAST-GABON (AGROPAG), est une société anonyme de droit privé avec administrateur général qui a son siège social à l’immeuble de la primature. Dans le même intervalle, l’Etat gabonais s’est doté d’un véhicule, en l’occurrence, la Société la Société d’Agriculture et d’Elevage du Gabon, en abrégé SAEG, par ordonnance no 0013/PT/MAEP du 20 septembre 2024, avec pour mission de promouvoir le développement de l’agriculture et l’élevage. »
Et : « Aussi, dans le cadre de la répartition des matériels et équipements agricoles acquis par l’Etat, et déférant aux Très Hautes instructions de Monsieur le Président de la Transition, Président de la République, Chef de l’Etat, il a été décidé de les destiner exclusivement aux entités sous-tutelle ainsi qu’aux services déconcentrés du ministère dont j’ai la charge, en vue de la mise en œuvre effective de leurs missions respectives pour l’atteinte des objectifs de souveraineté alimentaire. L’usage desdits matériels et équipements se fera dans un cadre prédéfini par l’ensemble des parties prenantes et conformément aux directives qui seront édictées selon les cas, pour un accompagnement optimal des opérateurs du secteur. AGROPAG pourra y souscrire au moment opportun au même titre que les autres acteurs des filières concernées »
Il justifiait donc cette décision en rappelant que les équipements agricoles acquis par l’État, sous les Très Hautes instructions du président de la Transition, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, étaient exclusivement destinés aux entités publiques et aux services déconcentrés. L’objectif étant de moderniser l’agriculture et d’atteindre l’autosuffisance alimentaire.
Il ajoutait que les opérateurs privés, y compris AGROPAG, devraient souscrire, « au moment opportun », à ces dispositifs, au même titre que les autres acteurs du secteur. Une réponse qui n’aurait pas enchanté Raymond Ndong Sima.
Une ferme sur un terrain de l’État
Précisons que le projet d’élevage bovin à Ndendé, annoncé avec faste et marqué par l’arrivée supposée de 1000 têtes de bétail le 18 janvier 2024, est un autre point de discorde puisque celui-ci est un projet personnel de l’entreprise suscitée. Selon des sources concordantes, la ferme AGROPAG serait installée sur un terrain appartenant à l’État. Pire encore, les chiffres annoncés seraient largement exagérés : il ne s’agirait en réalité que d’une centaine de bovins qui sont arrivés au Gabon et non le contraire.

Des représailles en coulisses
Mais revenons sur la réponse de Jonathan Ignoumba. De sources concordantes, celle-ci aurait provoqué une vive réaction de l’entourage du Premier ministre. Selon des confidences, certains collaborateurs proches de Raymond Ndong Sima auraient tenté de soudoyer des syndicalistes du ministère de l’Agriculture pour mettre des bâtons dans les roues à l’ancien ministre. Une manœuvre qui reflète, s’il en est besoin, les tensions et enjeux entourant AGROPAG.
Une gestion privée au détriment de l’intérêt public ?
Cette affaire met en exergue, s’il en était encore besoin, un problème structurel : la coexistence ambiguë entre initiatives privées et responsabilités publiques. Comment justifier qu’un Premier ministre, garant des ressources de l’État, puisse initier une entreprise privée susceptible de bénéficier des moyens publics ?
La dotation en matériels agricoles, rendue possible par les investissements du président de la Transition, visait à promouvoir une agriculture nationale robuste et équitable. Or, l’exemple d’AGROPAG semble en contradiction flagrante avec cet idéal, puisqu’il suggère une privatisation déguisée de ressources publiques.
Cette polémique, loin d’être close, appelle des clarifications. L’installation d’AGROPAG au sein de la Primature, ses demandes d’appuis matériels et son implantation sur un terrain étatique nécessitent des réponses précises. Nous y reviendrons avec des éléments supplémentaires pour mieux éclairer l’opinion publique sur cette affaire où l’éthique et l’intérêt général semblent avoir été relégués au second plan. Mais, plus explicite encore, les supposées menaces de mort de Jonathan Ignoumba envers des syndicalistes partiraient de là. L’ancien ministre de l’Agriculture serait donc pris dans une opération de dénigrement, eu égard au précédent ici exposé.
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