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Saisie des biens de HPO : quand une quittance ne suffit pas à faire une procédure

Par Stive Roméo Makanga

Il y a, dans certaines affaires judiciaires, des documents qui arrivent trop tard et qui prétendent tout réparer. Dans le dossier HPO, c’est une quittance du Trésor public qui, aujourd’hui, sert d’ultime ligne de défense à une séquence procédurale largement contestée. Une quittance brandie comme un talisman juridique, censé effacer d’un seul coup les doutes, les irrégularités alléguées et les silences troublants. Le problème est que le droit, lui, ne fonctionne pas à coups de reçus.

Depuis la perquisition menée au domicile de l’homme d’affaires Hervé Patrick Opiangah, l’opinion publique comme une partie de la communauté judiciaire s’interrogent : sur quelle base légale cette opération s’est-elle réellement déroulée ? À cette question lourde de conséquences, une réponse singulière : la production d’une quittance du Trésor public, datée du 3 décembre 2024, censée attester de la régularité du sort réservé aux biens saisis. Une argumentation qui, à elle seule, ne saurait clore le débat.

Car en matière pénale, une évidence s’impose : on ne dépose pas des biens d’autrui au Trésor public sur la seule base d’une initiative administrative. La procédure est balisée, encadrée, jalonnée d’actes précis. Mandat, perquisition régulière, procès-verbal dressé séance tenante, scellés, présentation au magistrat instructeur, décision juridictionnelle : tout cela forme un enchaînement indissociable. Or, dans l’affaire HPO, cet enchaînement semble, à tout le moins, incomplet.

La question centrale demeure donc entière : sur quel fondement juridique précis le parquet a-t-il pu procéder au transfert de ces biens vers le Trésor public, en l’absence alléguée d’ordonnance, de jugement ou de mandat préalable ? Le silence observé à ce sujet ne dissipe rien ; il nourrit au contraire le trouble. Car si une simple quittance suffisait à couvrir rétroactivement toutes les étapes d’une procédure, le droit lui-même deviendrait une formalité décorative.

Les défenseurs de la régularité de l’opération font valoir l’existence de ce document comptable comme preuve ultime. Mais ils laissent dans l’ombre ce qui précède. Or c’est précisément là que se logent les principales zones d’ombre : une perquisition qualifiée d’irrégulière au regard de l’article 55 du Code de procédure pénale, l’absence de procès-verbal dressé séance tenante, l’absence de lien de causalité clairement établi entre les biens saisis et l’infraction alléguée, ainsi que la non-présentation des scellés au magistrat instructeur.

À ces interrogations s’ajoute un élément de calendrier pour le moins déroutant. Les biens auraient été saisis le 20 novembre 2024, mais déposés au Trésor public seulement le 3 décembre, soit près de deux semaines plus tard. Deux semaines durant lesquelles ces objets seraient restés au parquet, sans contrôle juridictionnel formel, sans scellés officiellement visés, sans PV communiqué à la défense. Une temporalité qui ne relève pas du détail accessoire, mais du cœur même de la sécurité juridique.

Que s’est-il passé durant cet intervalle ? Pourquoi un tel délai ? Pourquoi les scellés n’ont-ils pas été présentés au magistrat instructeur comme l’exige la procédure ? Et quel est, juridiquement, le lien exact entre ces biens et l’infraction supposée ? Autant de questions simples, mais dont l’impact est redoutable.

Ces interrogations trouvent un écho direct dans l’ordonnance du juge d’instruction. La magistrate y affirme n’avoir jamais vu les scellés. Elle écrit sans détour : « Les objets de la cause n’ont jamais été présentés devant nous. » Elle précise n’avoir reçu que la quittance du 3 décembre 2024. L’avocate Me Carol Moussavou résume alors la situation d’une formule sobre et implacable : « Comment remettre des effets que nous n’avons jamais eus ? »

Dès lors, la quittance apparaît moins comme une garantie juridique que comme un écran. Non qu’un dépôt au Trésor soit, en soi, contestable. Mais parce qu’il ne peut en aucun cas se substituer à ce qui aurait dû le précéder. Le droit pénal n’admet ni raccourci, ni régularisation par la seule vertu d’un cachet administratif.

Dans ce contexte, les tentatives de justification fondées exclusivement sur l’existence de ce reçu donnent le sentiment d’une défense fragile, presque déséquilibrée, face à l’ampleur des irrégularités soulevées. Elles exposent davantage les failles qu’elles ne les referment. Et elles nourrissent un malaise plus profond : celui d’une justice encore soupçonnée, parfois, de confondre autorité et précipitation.

Il ne s’agit pas ici d’accabler un homme, mais d’interroger une mécanique. La Ve République gabonaise s’est donnée pour ambition la restauration de la crédibilité de ses institutions. Cette ambition ne peut s’accommoder d’approximation procédurale. Elle suppose l’exemplarité, la rigueur, la traçabilité des actes. À ce titre, le Conseil supérieur de la magistrature et l’Inspection générale des services judiciaires sont interpellés, non pour condamner, mais pour éclairer.

En définitive, dans l’affaire HPO, ce n’est pas la quittance qui est au centre du débat. C’est tout ce qui aurait dû la rendre juridiquement légitime. Car on ne légalise pas l’illégalité après coup. On ne reconstruit pas une procédure à l’envers. Et dans un État de droit, la force de la justice ne se mesure pas au nombre de tampons apposés, mais à la solidité du chemin juridique qui y conduit.

La justice gabonaise vaut mieux que des paravents administratifs. Elle mérite la clarté, la méthode et la confiance. Et cette confiance, aujourd’hui, ne pourra être restaurée que par une chose : la vérité procédurale, dans toute sa rigueur.

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