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Décès d’un enseignant au LPIG : le silence assourdissant de l’État cinq jours après le drame

Par Joseph Mundruma

Il est mort debout, presque. Craie dans une main, effaceur dans l’autre. Le 1er décembre 2025, en plein cours d’histoire-géographie, Alexandre Nguema Bibang, 61 ans, enseignant au Lycée Paul Indjendjet Gondjout (LPIG) de Libreville, s’est effondré devant ses élèves. Cinquante minutes de cours ordinaires devenues, soudain, le théâtre d’un drame national. Cinq jours plus tard, une autre chute, plus glaçante encore : celle du silence de l’État. Incroyable !

Depuis ce décès brutal, l’émotion ne retombe pas. Elle enfle même, dans les salles de classe, dans les foyers, sur les réseaux sociaux, dans cette communauté éducative déjà à bout de souffle. Mais du côté du ministère de l’Éducation nationale et du gouvernement, rien. Pas un communiqué officiel. Pas une visite de compassion. Pas un mot pour la veuve. Pas un geste pour les enfants. Pas même une reconnaissance formelle pour ces 33 années de loyaux services rendus à la nation.

Cinq jours de silence. Cinq jours d’absence. Cinq jours d’embarras institutionnel.

Dans tout État digne de ce nom, la mort d’un enseignant en plein exercice de ses fonctions appelle au minimum une réaction républicaine. Un message de condoléances. Une présence symbolique. Une parole publique. Ici, rien. Le ministère de l’Éducation nationale, pourtant première autorité concernée, est resté muré dans une immobilité froide. Son patron par intérim, Simplice Désiré Mamboula, n’a livré ni déclaration, ni déplacement, ni message de soutien.

Ce silence pose une question simple, mais vertigineuse : un enseignant gabonais qui meurt sur son lieu de travail mérite-t-il encore une considération de l’État ? Que se serait-il passé s’il s’était agit d’un homme en tenue ? L’indifférence aurait-elle été similaire ?

À défaut de réponse officielle, l’opinion publique en tire déjà les siennes. L’indifférence devient politique. Le mutisme se transforme en message. Et ce message est brutal : le sort d’un éducateur, même tombé en service, ne pèse visiblement pas lourd dans la hiérarchie des urgences gouvernementales.

Pendant que la veuve et les enfants pleurent, pendant que les collègues sont sous le choc, le Conseil des ministres, réuni jeudi dernier, a déroulé ses décrets froids, ses chiffres, ses projets, ses pourcentages. Budgets, statistiques, réformes. Pas une ligne, pas une allusion, pas une pensée pour cet homme qui, pendant plus de trois décennies, a formé des générations de citoyens.

Cette dissonance est cruelle. D’un côté, une mort brutale, intime, irréversible. De l’autre, une machine administrative qui continue de tourner, imperméable aux larmes. Comme si la perte d’un enseignant n’était qu’un incident de parcours, un aléa négligeable dans la grande mécanique de l’État.

Faut-il y voir une simple maladresse de communication ? Ou le symptôme plus profond d’une déconnexion entre les gouvernants et ceux qu’ils gouvernent ?

Ce drame agit comme un révélateur. Il met à nu la solitude des enseignants, souvent livrés à eux-mêmes, mal protégés, sous-payés, surchargés, et désormais, même pas officiellement honorés lorsqu’ils tombent au front du savoir.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : Alexandre Nguema Bibang est tombé en service, au tableau, face à ses élèves. Il n’est pas mort dans l’anonymat d’un domicile, mais dans l’exercice même de sa mission républicaine. Et pourtant, l’État, pour l’heure, a choisi l’option du silence.

Pourquoi ce mutisme ? Que redoute-t-on ? Une reconnaissance de responsabilité ? Une crainte d’ouvrir un débat sur les conditions de travail ? La peur d’un symbole trop lourd à porter ?

Dans les établissements, chez les enseignants, dans les syndicats, dans les familles, la colère monte. Lentement, mais sûrement. Car ce qui est en jeu ici dépasse un simple hommage. C’est la place même de l’enseignant dans la République qui est interrogée. Sa valeur. Sa reconnaissance. Son statut moral.

Ce que demandent aujourd’hui la veuve, les enfants, les collègues et la communauté éducative n’est ni une faveur, ni une largesse. Ils réclament un minimum républicain : la reconnaissance, l’empathie, la dignité.

Ils demandent que l’État sorte de ses couloirs climatisés, de ses communications formatées, de son langage technocratique, pour regarder en face cette réalité brute : un homme est mort en transmettant le savoir.

Chaque heure de mutisme supplémentaire alourdit la faute morale. Plus le gouvernement tarde à réagir, plus son silence devient un acte politique en soi. Et dans l’opinion, ce silence est désormais interprété non comme une absence, mais comme un mépris.

L’État gabonais peut-il continuer à gouverner sans jamais se confronter à la douleur de ses agents ? Peut-il exiger le dévouement sans jamais offrir la reconnaissance ? Peut-il invoquer la République sans en assumer les devoirs humains les plus élémentaires ?

À ces questions, le gouvernement devra bien répondre. Car le silence, dans ce pays meurtri mais lucide, n’efface jamais rien. Il accuse.

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