Affaire Opiangah/Gabon : devant la Commission africaine, l’État désormais sommé de répondre
Par Joseph Mundruma
Il y a des symboles qui en disent plus long que de longs discours officiels. Celui que vient d’offrir la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples au Gabon appartient à cette catégorie rare : l’État gabonais, pour la première fois de son histoire, se retrouve placé sur le banc des accusés devant une instance continentale. Une situation inédite, presque irréelle tant elle rompt avec l’habituelle inertie institutionnelle où s’enfouissent, le plus souvent, plaintes, indignations et appels à la justice.
Mercredi 10 décembre 2025, à Banjul, le Cabinet Bensimhon & Associés a déposé un mémoire qui fait déjà date : l’affaire Hervé Patrick Opiangah contre la République gabonaise entre dans sa phase contentieuse, après que la Commission africaine a jugé recevable la plainte pour violation des droits humains et atteintes graves à la dignité. Recevable : un mot sobre, administratif, presque banal. Mais à Libreville, il résonne comme un séisme.
Le Cabinet ne s’y est pas trompé. Dans un communiqué au ton grave dont notre Rédaction a obtenu copie, il affirme avoir versé aux archives de l’institution « l’ensemble des éléments factuels » (plus de soixante-dix pièces, dont vingt constats d’huissier) qui viendraient attester des « atteintes graves » subies par leur client. Une densité documentaire peu commune, surtout lorsqu’il s’agit d’épingler un État, d’ordinaire prompt à se réfugier derrière l’épais rempart de sa souveraineté.
Les avocats parlent de conséquences « professionnelles, personnelles et financières sans précédent ». Une rhétorique qui pourrait prêter à sourire si elle ne pointait, au fond, une question plus vaste : comment un État prétendant incarner la raison publique en arrive-t-il à répondre, devant les instances de son propre continent, d’atteintes présumées à la dignité d’un citoyen ?
La Commission, elle, n’a pas tremblé. La recevabilité (événement rarissime pour une plainte visant directement le Gabon) confirme selon le Cabinet « le respect scrupuleux des procédures » et la crédibilité des accusations. Un euphémisme délicat pour désigner, en creux, la solidité d’un dossier qui a su franchir des filtres réputés hermétiques.
À Libreville, l’affaire tombe au plus mauvais moment. Sur la scène internationale, où l’on guette les signes de la Ve République, l’image d’un État convoqué pour répondre de violations présumées des droits humains ne manquera pas de provoquer quelques crispations diplomatiques. À l’Union africaine comme chez les partenaires bilatéraux, on s’interrogera sur la capacité d’un régime à tenir ses engagements en matière de coopération judiciaire, économique ou sécuritaire.
Car il ne s’agit pas seulement du cas Opiangah. Ce dossier ouvre une brèche. Une brèche institutionnelle, mais aussi symbolique : celle d’un continent où les États, longtemps habitués à interdire l’examen de leur propre comportement, sont désormais rappelés à l’ordre par les mécanismes qu’ils ont eux-mêmes ratifiés.
On imagine déjà les couloirs feutrés des ministères gabonais bruisser d’inquiétude : répondre dans les délais requis, élaborer une défense crédible, anticiper les conséquences politiques… autant de réalités que l’exercice solitaire du pouvoir ne prépare guère.
Le Cabinet Bensimhon & Associés, lui, joue la carte de la confiance. Il dit sa « gratitude » à la Commission africaine, qu’il estime capable de statuer « en toute impartialité ». Le message est clair : le combat qui se mène dépasse l’individu, il concerne « tout citoyen qui pourrait être inquiété, poursuivi ou persécuté » pour ses opinions ou engagements économiques. On croirait lire la préface d’un traité de philosophie politique, si l’affaire ne reposait pas sur un épais dossier juridique.
L’avertissement est adressé, non sans élégance, à tous les États qui persistent à confondre autorité et arbitraire.
Le Gabon, désormais, n’a plus le choix. Il devra répondre. Offrir des explications précises, des arguments solides, peut-être même un mea culpa, notion encore étrangère à sa pratique institutionnelle. Car ce dossier n’est plus qu’un contentieux juridique : c’est une épreuve de vérité. Une radiographie politique.
Et l’image qui en ressortira pourrait peser longtemps sur la perception du pays.
Quoi qu’en dise la liturgie officielle, l’ouverture de cette procédure marque un tournant : celui où les institutions régionales cessent de jouer les figurantes pour endosser leur rôle véritable, celui de gardiennes des droits fondamentaux.
Pour certains, c’est une victoire morale. Pour d’autres, un précédent inquiétant.
Pour le Gabon, c’est un test. Et l’un des plus importants de son histoire récente.



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