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Eramet au Gabon : quand le redressement passe par les rails

Par Stive Roméo Makanga

Il y a des plans de redressement qui tiennent du tableur, et d’autres qui se jouent sur le terrain, au sens littéral. Celui qu’Eramet a dévoilé le jeudi 4 décembre appartient clairement à la seconde catégorie. Pour sortir de la zone de turbulences qu’il traverse depuis plusieurs exercices, le groupe minier français fait un pari assumé : sa survie passera, pour une large part, par le Gabon et par la modernisation d’un axe ferroviaire aussi stratégique que vulnérable, le Transgabonais.

Nommé directeur général le 26 mai 2025, Paulo Castellari n’a pas tardé à fixer le cap. La filière manganèse, cœur historique et principal pourvoyeur de valeur du groupe, est appelée à redevenir le socle du redressement. Or cette filière est, plus que toute autre, indissociable du Gabon, où se concentre l’essentiel des volumes extraits et exportés. Autrement dit, sans rails performants, pas de minerai ; sans minerai, pas de redressement.

ReSolution, ou l’art de faire mieux avec l’existant

Baptisé « ReSolution », le plan présenté par la direction est issu d’une revue complète des actifs menée à l’été 2025, de l’Indonésie à l’Argentine, en passant par le Sénégal et le Gabon. Le diagnostic est sans complaisance : la performance 2025 est jugée insuffisante et les marges de progression existent, à condition d’attaquer frontalement les problèmes d’efficacité opérationnelle et de structure de coûts.

Sur le papier, l’ambition est chiffrée. En conditions économiques constantes, ReSolution pourrait générer entre 130 et 170 millions d’euros d’EBITDA additionnel d’ici deux ans. Les leviers sont classiques : gains de productivité, rationalisation des processus, optimisation des achats. Mais dans le cas gabonais, une variable s’impose à toutes les autres : la capacité à transporter davantage de minerai.

Le Transgabonais, talon d’Achille et clé du redressement

Les résultats du troisième trimestre 2025 ont servi de rappel brutal. Les difficultés persistantes sur le réseau ferroviaire gabonais ont entraîné une baisse de 13 % des volumes transportés sur un an, à 1,6 million de tonnes. Un chiffre qui dit beaucoup plus qu’il n’y paraît. Il rappelle d’abord la fragilité structurelle d’un réseau unique, exposé aux aléas climatiques et à un sous-investissement chronique. Il rappelle ensuite qu’Eramet a déjà payé cher ces faiblesses : au premier trimestre 2023, un glissement de terrain avait paralysé le Transgabonais pendant tout le mois de janvier, forçant l’arrêt complet des activités.

Dans ce contexte, la modernisation du Transgabonais n’est plus un projet d’infrastructure parmi d’autres ; elle devient une condition de possibilité du plan ReSolution. Le groupe prévoit donc des investissements destinés à fluidifier le trafic, sécuriser les tronçons critiques et soutenir une hausse durable des volumes transportés par rapport à 2025. L’objectif est clair : permettre à la filière gabonaise de peser davantage dans la trajectoire financière du groupe.

Un alignement rare entre intérêts industriels et intérêts publics

Fait notable, ce pari industriel bénéficie d’un soutien politique et financier inhabituellement large. À la fin novembre, le président gabonais Brice Clotaire Oligui Nguema a reçu les dirigeants d’Eramet et ceux de la Setrag (l’opérateur du Transgabonais, contrôlé par Comilog) pour discuter d’une refonte du modèle économique et de la gouvernance de la ligne nationale. Au menu : évolution de la participation de l’État, nouveaux mécanismes de captation des revenus ferroviaires et clarification des responsabilités.

Cette initiative s’inscrit dans un cadre plus vaste. Le 24 novembre, en marge de la visite du président français Emmanuel Macron, l’État gabonais et l’Agence française de développement ont signé la convention du Programme de modernisation et de sécurisation du Transgabonais. Montant total : 203 millions d’euros, dont 173 millions sous forme de prêt AFD et 30 millions de don de l’Union européenne, via la stratégie Global Gateway.

Le programme prévoit la remise à niveau des tronçons les plus dégradés, le renforcement de la superstructure, un plan d’action de réinstallation, l’amélioration du transport des passagers et le renforcement des capacités institutionnelles de l’État et de la Setrag. Autant d’éléments qui dépassent largement les seuls intérêts d’Eramet et ancrent le projet dans une logique de développement national.

Le marché, juge de paix du redressement

Reste une inconnue majeure, sur laquelle ni les rails ni les plans d’investissement n’ont prise : le marché mondial du manganèse. Car une amélioration durable des performances d’Eramet au Gabon ne saurait reposer uniquement sur une logistique plus fluide. Elle dépend aussi d’un environnement de prix aujourd’hui défavorable.

Selon le groupe, l’indice CRU du minerai de manganèse CIF Chine 44 % a chuté de 40 % en glissement annuel au troisième trimestre 2025. Conséquence directe : une baisse de 35 % du chiffre d’affaires de l’activité minerai. En d’autres termes, même modernisé, le Transgabonais ne suffira pas à compenser indéfiniment un cycle de prix déprimé.

Des rails pour tenir, pas pour rêver

Le plan ReSolution a donc le mérite de la lucidité. Il ne promet pas de miracle, mais cherche à solidifier ce qui peut l’être : l’outil industriel, la chaîne logistique, la gouvernance des infrastructures. Au Gabon, Eramet joue une partie décisive, à la croisée des intérêts industriels, étatiques et géopolitiques.

Reste à savoir si, une fois les rails remis à niveau, le marché acceptera de suivre. Car dans l’industrie minière, même les meilleurs plans de redressement finissent toujours par se heurter à une réalité implacable : on peut maîtriser les coûts, rarement les prix.

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