« 98 % des couples mariés ne sont pas heureux dans leurs foyers »: le grossier mensonge du ‘’prophète’’ Philippe Mukoma Weto
Par Stive Roméo Makanga
Il y a des chiffres qui éclairent le débat public. Et d’autres qui l’obscurcissent. La déclaration récente du « Prophète » Philippe Mukoma Weto appartient sans conteste à la seconde catégorie. Dans une publication diffusée sur son compte Facebook officiel, ce prédicateur d’origine congolaise, installé au Gabon depuis de longues années, assène sans sourciller : « 98 % des couples mariés ne sont pas heureux dans leurs foyers. Alors, arrêtez de mettre la pression sur les célibataires. Ce n’est pas un débat. »
Le ton est péremptoire, la sentence définitive. Le problème n’est pas tant l’opinion (chacun a droit à la sienne) que la transformation d’une intuition personnelle en statistique absolue. Car à ce stade, une question simple s’impose : d’où sort ce chiffre ?
À y regarder de plus près, le fameux « 98 % » relève moins de l’enquête sociologique que du slogan viral. Cette affirmation circule depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux, sans source, sans méthodologie, sans contexte. Elle ne figure dans aucune étude académique sérieuse, aucun rapport institutionnel, aucune enquête évaluée par des pairs.
Une vue de la publication mensongère
Autrement dit, il s’agit d’un chiffre fabriqué, ou à tout le moins grossièrement exagéré, dont la fonction première est de provoquer, de choquer et de clore le débat avant même qu’il n’ait commencé. Une pratique courante sur les réseaux sociaux, plus problématique lorsqu’elle émane d’un leader religieux s’exprimant devant des milliers de fidèles.
En effet, les données disponibles racontent, elles, une tout autre histoire. Les sondages Gallup menés aux États-Unis dans les années 2020 montrent qu’environ 70 % des adultes mariés se déclarent « très heureux », contre près de 50 % chez les célibataires. Le mariage n’est certes pas une garantie de félicité permanente, mais il ne correspond en rien à ce tableau quasi apocalyptique dressé par le prophète autoproclamé.
Plus encore, une méta-analyse publiée en 2023 dans le Journal of Marriage and Family, portant sur plus de cent études internationales, établit que la satisfaction conjugale moyenne des couples stables se situe entre 75 % et 85 %. Le malheur conjugal existe, bien sûr, mais il est généralement lié à des facteurs précis (conflits, précarité économique, violences, problèmes de communication) et non à une prétendue malédiction statistique frappant la quasi-totalité des foyers.
Les études longitudinales confirment cette tendance. La célèbre étude Grant de Harvard, menée depuis 1938, montre sur plusieurs décennies que les personnes mariées déclarent, en moyenne, une satisfaction de vie plus élevée que les non-mariées. Là encore, on est loin des 98 % d’infortune annoncés par le prétendu prophète.
La sortie de Philippe Moukoma Weto n’est pas anodine. Elle intervient dans un contexte où l’« homme de Dieu » fait lui-même l’objet d’interrogations sur sa situation matrimoniale. Premier responsable d’une église dénommée La Restauration des familles, le prophète est… célibataire. Une situation qui, sans être juridiquement problématique, interroge au regard des références scripturaires qu’il est censé incarner.
Les textes bibliques sont pourtant explicites. Dans 1 Timothée 3:2 et Tite 1:6, l’apôtre Paul précise que « celui qui aspire à la charge d’évêque (pasteur) doit être irréprochable, mari d’une seule femme ». Historiquement, les premiers chrétiens ordonnaient majoritairement des hommes mariés, avec, dans certains cas, une obligation de continence après l’ordination. Le célibat n’était ni la norme ni un argument théologique.
Dès lors, une question se pose : s’agit-il d’un discours pastoral ou d’une rationalisation personnelle ? Transformer une situation individuelle en vérité universelle est une tentation humaine. La sacraliser par un chiffre inventé en est une autre.
Que signifie vraiment ce “98 %” ?
Au fond, que dit réellement cette affirmation ? Peut-être moins sur l’état du mariage que sur la manière dont certains prédicateurs utilisent la parole publique. Le chiffre devient ici un instrument rhétorique, destiné à délégitimer toute interrogation, toute critique, toute norme sociale jugée inconfortable. « Ce n’est pas un débat », tranche le prophète. Justement si.
Car réduire des millions de couples à un taux fictif de malheur revient non seulement à travestir la réalité, mais aussi à banaliser les vraies souffrances conjugales. Cela revient à mettre sur le même plan les couples en difficulté réelle et ceux qui, malgré les tensions ordinaires de la vie, trouvent dans le mariage un espace d’équilibre et de solidarité.
La question dépasse largement le cas de Philippe Mukoma Weto. Elle renvoie à un enjeu plus large : le contrôle du contenu des prédications diffusées dans certaines églises. Au Gabon comme ailleurs, ces discours touchent des populations souvent fragiles, en quête de repères, de sens et de solutions immédiates à des problèmes complexes.
Laisser prospérer des affirmations infondées, présentées comme des vérités révélées, contribue à l’avilissement intellectuel et social des fidèles. Cela participe d’une confusion dangereuse entre foi, opinion et pseudo-science.
À l’heure où les autorités publiques s’interrogent sur la régulation des cultes, il serait sans doute temps de regarder aussi ce qui se dit depuis certaines chaires. Car si la foi relève de la liberté individuelle, la désinformation, elle, n’a rien de sacré.



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