Akanda/Trafic de courant: A la Cité Alhambra, la SEEG refuse-t-elle d’allumer la lumière?
Par Stive Roméo Makanga
Il y a des quartiers où l’État passe par la porte d’entrée, et d’autres où il semble avoir laissé les clés sous le paillasson. À la Cité Alhambra, dans la commune d’Akanda, l’eau coule sans difficulté dans les robinets des ménages. L’électricité, en revanche, relève d’un tout autre régime : celui du marché noir, structuré, tarifé et exercé dans une impunité qui interroge.
Car ici, le courant ne relève ni du service public ni de la facture officielle. Il s’achète. 5 000 francs CFA par mois, tarif fixe, non négociable. À cela s’ajoutent des frais d’entrée dans le système : 10 000 FCFA pour la connexion, plus 5 000 FCFA d’avance sur le premier mois, soit 15 000 FCFA exigés dès l’installation. Le tout, naturellement, sans quittance, sans compteur, sans SEEG.
Le plus troublant n’est pas tant l’existence de ce trafic (les réseaux parallèles prospèrent toujours là où l’État se fait discret) que la banalité avec laquelle il s’exerce. Selon des informations concordantes, ces pratiques se déroulent précisément à la Parcelle 3 (P3), par le biais de branchements directs, c’est-à-dire des connexions sauvages sur le réseau électrique, opérées au mépris de toute norme de sécurité et de toute légalité.
La meilleure, ou plutôt la plus inquiétante, reste à venir : l’individu à l’origine de ce commerce illicite ne serait même pas détenteur d’un contrat de location. Il s’agirait, selon une source digne de foi, d’un squatter, devenu, par la magie du laxisme ambiant, fournisseur officieux d’électricité pour tout un pan de la cité. Un paradoxe gabonais de plus : sans titre, mais avec du courant à vendre.
Dans cette affaire, la SEEG brille par une absence qui finit par ressembler à une stratégie. Car les faits ne sont ni discrets ni invisibles. Les branchements directs ne se cachent pas derrière des rideaux. Les câbles s’exhibent. Les installations bricolées s’étalent. Et les paiements mensuels se perpétuent, mois après mois, sans la moindre intervention apparente du gestionnaire officiel du réseau.
Dès lors, une question s’impose, insistante, presque gênante : comment expliquer le silence de la SEEG, alors même que ces pratiques sont connues ? Faut-il croire à une incapacité chronique à contrôler son propre réseau ? Ou faut-il, plus grave encore, s’interroger sur d’éventuels arrangements entre les trafiquants et certains agents indélicats de la société d’eau et d’électricité ?
La question mérite d’être posée, non par goût de la polémique, mais par souci de cohérence. Comment dénoncer les pertes techniques et commerciales, réclamer des sacrifices aux abonnés réguliers, multiplier les coupures et les pénalités, tout en laissant prospérer des réseaux parallèles qui vendent l’électricité comme on écoule une marchandise de contrebande ?
Au-delà du préjudice financier pour la SEEG (réel et mesurable) c’est aussi une menace directe pour la sécurité des populations. Les branchements directs, souvent réalisés sans protection adéquate, exposent les ménages à des risques d’électrocution, d’incendie et de dommages matériels. Autant de dangers qui, en cas de drame, se transformeront en responsabilités diluées.
« On sait très bien que ce courant est volé à la SEEG, mais on n’a pas le choix. Si on refuse, on reste dans le noir », confie un résident, sous couvert d’anonymat. « On paie chaque mois pour quelque chose d’illégal, et personne ne nous protège. »
À la Cité Alhambra, l’électricité circule donc, mais hors des radars officiels. Un courant fantôme, payé rubis sur l’ongle, encaissé dans l’ombre, et toléré dans un silence qui finit par devenir assourdissant. À moins que ce silence ne soit, précisément, le symptôme d’un système qui préfère fermer les yeux plutôt que d’allumer la lumière.
« C’est humiliant », poursuit une mère de famille vivant à Alhambra. « On paie 5 000 francs tous les mois pour une électricité dangereuse, pendant que la SEEG fait comme si elle ne voyait rien. Pourtant, tout le quartier est au courant. »
La SEEG, si prompte à invoquer les contraintes techniques, gagnerait à répondre à une question simple : jusqu’à quand laissera-t-elle l’électricité publique devenir une affaire privée ?



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