Par Stive Roméo Makanga
Depuis l’accession du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) au pouvoir, sous l’approximative direction du général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema, les espoirs de changement pour le peuple gabonais se sont érodés au fil des mois. Du moins, c’est le sentiment qu’ont les compatriotes les plus éclairés, absolument pas séduits par le “kounabélisme” ambiant. Alors que l’éviction d’Ali Bongo Ondimba, le 30 août 2023, fut accueillie par de larges scènes de liesse populaire, l’euphorie cède désormais place à une amère désillusion. Le régime de transition semble en effet calqué sur les méthodes et pratiques du régime Bongo-PDG, qui a marqué la scène politique gabonaise durant plus d’un demi-siècle.
En apparence, l’objectif affiché du CTRI de restaurer la démocratie et de refonder les institutions du pays pouvait rassurer. Pourtant, une observation minutieuse des pratiques actuelles révèle un retour à un ordre ancien, celui que le peuple pensait avoir relégué aux oubliettes. Le général Oligui Nguema, par sa gestion centralisée et opaque du pouvoir, ressuscite les démons d’un système qui a longtemps étouffé les aspirations démocratiques des Gabonais.
En 2024, à un peu plus d’un an après la prise du pouvoir par le CTRI, de nombreux observateurs n’hésitent plus à affirmer que la transition orchestrée par le général président n’est qu’un habillage du système Bongo-PDG. Sous couvert d’une rupture avec l’ancien régime, le CTRI reproduit en réalité les mêmes pratiques : centralisation du pouvoir, nominations de “copains et coquins”, faible transparence dans les décisions gouvernementales, et maintien de réseaux d’influence qui avaient permis au Parti démocratique gabonais (PDG) de se maintenir au pouvoir pendant des décennies.
Le CTRI, en promouvant certaines figures de l’ancien régime et en adoptant une attitude autoritaire, maintient intact le schéma politique qui a vu émerger une oligarchie dominée par quelques familles influentes. Les nominations aux postes stratégiques, souvent au mépris de la compétence, témoignent d’une volonté de perpétuer l’ancien système sous une nouvelle façade. Cette continuité s’est aussi illustrée dans la politique économique et les affaires publiques, où les mêmes acteurs continuent de tirer les ficelles.
Lorsque le général a pris le pouvoir, la promesse d’une transition en douceur vers des élections libres et transparentes semblait plausible. Cependant, au-delà des discours, la réalité s’avère beaucoup plus complexe. La gestion du processus électoral, clé de voûte de la transition, accentue de sérieuses interrogations. Le retour du ministère de l’Intérieur dans l’organisation des scrutins, un domaine qui avait été partiellement délégué à des institutions indépendantes sous l’ancien régime, marque un net recul démocratique. Le peuple gabonais voit ainsi ses espoirs de transparence électorale s’évanouir, face à une organisation opaque et taillée sur mesure pour servir les intérêts d’un pouvoir en place.
En outre, les décisions prises par le CTRI, souvent sans consultations ni débats publics, rappellent le fonctionnement autocratique qui prévalait sous le règne de la famille Bongo. La transition se déroule sans véritable remise en question des fondements mêmes du régime Bongo-PDG. Il s’agit d’une continuité qui, tout en prenant des airs de renouveau, creuse un peu plus le fossé entre les dirigeants et les aspirations populaires.
Les nouvelles méthodes d’intimidation, la répression des voix critiques, et le contrôle strict des médias publics sont autant de signes qui confirment que le CTRI, sous l’apparente restauration des institutions, adopte en réalité les réflexes du régime Bongo-PDG. Le contrôle des médias d’État et la neutralisation progressive des voix dissidentes rappellent aux Gabonais les heures sombres d’un passé qu’ils espéraient pourtant révolu.
En parallèle, des scandales de corruption éclatent, et révèlent l’existence de pratiques qui n’ont jamais vraiment disparu. Le climat d’opacité et de non-respect des règles de bonne gouvernance, qui avait caractérisé le règne des Bongo, se prolonge dans cette période dite de transition. Le système est donc toujours en place, régénéré sous une autre forme, mais fidèle à ses travers historiques.
La question centrale qui se pose aujourd’hui est celle de la véritable nature du pouvoir exercé par Brice Clotaire Oligui Nguema. Est-il le sauveur que le peuple attendait ou, au contraire, le restaurateur d’un système corrompu ? Les mois écoulés tendent à faire pencher la balance vers la seconde hypothèse. Si la figure du général était perçue comme celle d’un homme providentiel à même de rompre avec les pratiques du passé, son action à la tête du CTRI semble au contraire perpétuer ce que les Gabonais espéraient voir disparaître.
Le pouvoir de transition, au lieu de promouvoir une véritable démocratie participative, semble conforter les élites en place et renforcer les inégalités structurelles qui gangrènent le pays. Il apparaît désormais clairement que la transition en cours ne constitue pas une véritable rupture, mais un retour déguisé aux méthodes du système Bongo-PDG.
Sous la direction du général président, la Transition se révèle être une copie quasi conforme du système Bongo-PDG. L’espoir d’un renouveau démocratique s’estompe face à la réalité d’une continuité politique qui n’apporte guère de réponses aux aspirations populaires. Chômage, vie chère et consorts, absolument rien n’est résolu. Le peuple gabonais, qui espérait tourner la page d’un demi-siècle de règne autoritaire, voit ses espoirs une fois de plus trahis par un pouvoir qui, sous couvert de transition, reconduit les pratiques du passé. À ce rythme, la transition en cours pourrait bien n’être qu’un prolongement du règne Bongo, où le tabac reste le même, même si la pipe a changé.