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Coopération russo-africaine : le réalisme lucide de Melégué Traoré

Par Stive Roméo Makanga

Les propos de l’ancien ministre et diplomate burkinabè Melégué Traoré ont le mérite de ramener le débat sur la coopération russo-africaine à un niveau de lucidité trop souvent absent dans les discours actuels. « Moi, j’ai été ambassadeur en Russie. Tous ceux qui parlent de la Russie, ne connaissent rien de la Russie. Les Russes sont bons dans certains domaines et moins bons dans d’autres », confie-t-il, dans un ton calme mais empreint d’une expérience rare, à l’heure où nombre de dirigeants africains semblent fascinés par le grand retour de Moscou sur le continent.

Car la vérité que dévoile Melégué Traoré est dérangeante : l’Afrique, et plus particulièrement le Sahel, se berce d’illusions sur la nature réelle de sa relation avec la Russie. Derrière le discours de la souveraineté retrouvée et du partenariat « sans ingérence », se cache une réalité beaucoup plus nuancée. Selon lui, « en ce qui concerne la coopération économique, ce sont eux-mêmes [les Russes] qui nous disent d’aller voir les Occidentaux ». Autrement dit, Moscou sait ses limites, et ne prétend pas pouvoir remplacer les puissances traditionnelles dans tous les domaines.

Cette confession, venue d’un homme qui a vécu le système russe de l’intérieur, tranche avec le populisme ambiant et les slogans d’indépendance tonitruants qui accompagnent désormais les ruptures diplomatiques avec l’Occident. On ne rompt pas avec la France en se jetant dans les bras de la Russie, rappelle-t-il implicitement, mais en construisant une véritable autonomie politique, économique et technologique.

En réalité, la Russie n’est pas un messie pour l’Afrique, mais un partenaire parmi d’autres, aux intérêts stratégiques clairs et aux moyens limités. Si elle séduit par son discours de non-ingérence et par son soutien militaire, elle n’offre ni marchés d’exportation structurés, ni transferts de technologies massifs, ni modèle économique viable pour les économies africaines en quête de diversification. Les Russes, selon Melégué Traoré, ne s’en cachent pas. C’est plutôt en Afrique que la fiction s’écrit, sous forme de slogans : « coopération gagnant-gagnant », « nouvel ordre mondial multipolaire », ou encore « fin du néocolonialisme ».

Le réalisme de Melégué Traoré sonne comme un appel à la raison : il ne s’agit pas de choisir entre Paris et Moscou, mais de cesser de dépendre de l’un ou de l’autre. L’avenir du continent ne se joue pas dans les capitales étrangères, mais dans la capacité de ses dirigeants à bâtir des institutions fortes, à encourager l’innovation locale, et à exploiter intelligemment ses ressources.

À l’heure où l’idéologie remplace souvent la diplomatie, cette parole de vérité rappelle qu’aucun pays ne s’émancipe en changeant simplement d’allié. La vraie souveraineté n’est pas géopolitique, elle est structurelle. Et sur ce terrain, ni la Russie, ni la France, ni les États-Unis ne feront jamais le travail à la place des Africains.

En rappelant que « les gens parlent des choses qu’ils ne maîtrisent pas », Melégué Traoré invite à une réflexion salutaire : entre fascination et désillusion, l’Afrique doit désormais choisir la lucidité. C’est peut-être là, et seulement là, que commencera la véritable indépendance.

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