Par Stive Roméo Makanga
La situation fait échos depuis plusieurs semaines. Au regard de l’enlisement observé dans les procédures mises en œuvre par les autorités compétentes, la famille biologique de Paterne Bouty Inguemba, décédé mystérieusement au cours d’un convoi de marchandises, dit aller jusqu’au bout de sa perspective, ce malgré les intimidations de l’antenne de la police judiciaire de Koulamoutou, dans l’Ogooué-Lolo.
LES FAITS
Tout commence le dimanche 22 mai 2022. Ce jour-là, Paterne Bouty Inguemba, un jeune compatriote, perd mystérieusement la vie à une soixantaine de kilomètres de Koulamoutou. Un décès qui intervient alors que ce dernier et ses compères acheminaient de la marchandise à Moanda, pour le compte de Jaber, un commerçant libanais, à bord d’un camion frigorifique.
Cependant, sur ordre des commandants de Groupement et de Compagnie de ce chef-lieu de province, la dépouille du jeune homme est acheminée illico presto à la morgue. Tous les protagonistes présents sur les lieux du drame, pourtant principaux suspects, comme le veut la procédure en pareilles circonstances, ne sont pas auditionnés et aucune enquête n’est ouverte.
De cette affaire mystérieuse, l’on sait désormais que le commandant de Brigade de la Gendarmerie de Koulamoutou, Ruffin Ngotoko, a été exclu de l’enquête par le Commandant de Groupement, le Commandant Rodrigue Ossibadjo et le Commandant de Compagnie, le Capitaine Fabrice Ngando.
Toute la question aujourd’hui est celle de savoir les circonstances exactes du trépas, toute l’affaire ayant été bâclée depuis le début par l’antenne de la police judiciaire de la 7e province du Gabon.
Informés du décès de Paterne Bouty Inguemba, quelques membres de la famille feront le déplacement pour l’hinterland. À ces derniers, Fabrice Ngando, le commandant de compagnie, déclarera que Paterne Bouty Inguemba était décédé de mort naturelle, et que le médecin légiste de l’hôpital Paul Moukambi en avait dressé le rapport.
Une version que ne validera pas la famille, désireuse de connaître tous les contours de cette affaire et de consulter le rapport circonstancié du médecin légiste.
Ainsi, en l’absence de ce dernier, les doutes ne feront que se conforter.
De plus, toutes investigations faites, l’hôpital Paul Moukambi ne dispose pas d’un médecin légiste. Et la dépouille, quant à elle, porte une série d’hématomes allant de la tempe gauche au flanc gauche de la poitrine, le tout accompagné d’un saignement nasal et buccal.
Des constatations qui convaincront la famille de Paterne Bouty Inguemba qu’il ne s’agissait pas de mort naturelle, ce d’autant que le procureur n’avait pas été informé du décès, plus d’une décade après la survenance des faits, et que le camion frigorifique ait été escorté avec grand soin par le Commandant de Groupement, Rodrigue Ossibadjo, et Fabrice Ngando.
Très vite, la situation va s’enliser. Selon un membre de la famille, les deux gendarmes précités auraient essayé, en vain, de mettre aux arrêts les frères aînés de Paterne Bouty Inguemba, en guise d’intimidation.
Autre fait majeur et outre la procureure de Koulamoutou, le Commandant en chef de la gendarmerie nationale n’aurait lui aussi pas été informé du décès du jeune compatriote.
Jusqu’ici, de nombreuses interrogations taraudent plus d’un. Pourquoi les deux officiers précités ont-ils interférés dans le déroulement de cette enquête, en excluant le commandant de brigade territorialement compétent, sans l’aval du Procureur de la République qui d’ailleurs n’a été informé de ce drame qu’une semaine et deux jours, après l’arrivée des membres de la famille du défunt venu de Libreville pour la circonstance? Une problématique qui vaut son pesant d’or.
GROS SOUPÇONS DE CORRUPTION
L’on sait désormais, selon toute confidences, que le camion convoyé par Paterne Bouty Inguemba et conduit par “Arouna”, un sujet camerounais, contenait de la marchandise d’une valeur de plus de 10 millions de francs CFA, à destination de Moanda, dans le Haut-Ogooué. La cargaison, propriété de ZAWADE, dit LOULOU GEL, a été conduite avec diligence par les deux officiers de la gendarmerie nationale.
Le commerçant libanais a-t-il corrompu les deux hommes? Si oui, à quelle fin et que contenait réellement le camion pour qu’il soit ainsi acheminé illico presto par des gendarmes vers son destinataire, sans que la chaîne de commandement ne soit pleinement informée?
PETIT RAPPEL DES OBLIGATIONS DES AUXILIAIRES DE JUSTICE
Paterne Bouty Inguemba est décédé dans des circonstances mystérieuses. L’ouverture d’une enquête aurait permis de déterminer les causes réelles de cette disparition, qui continue de poser des interrogations, tant au niveau de la famille du défunt, que de l’opinion.
Les obligations des auxiliaires de justice exerçant les fonctions d’officier et d’agent de la police judiciaire sont pourtant clairement explicitées dans le code de procédure pénale.
En son article 13, il est énoncé que la police judiciaire est exercée par les officiers et les agents de la police judiciaire, sous la direction du Procureur de la République.
Dans le cadre de l’affaire ci-dessus exposée, les deux protagonistes précités ont cruellement manqué à ce devoir.
Puis, l’article 14 du code de procédure pénale précise les actions des auxiliaires de justice. Ces dernières consistent à constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves, d’en rechercher les auteurs et de les livrer aux juridictions pour qu’ils en soient jugés.
Des manquements observés dans le cas de la disparition mystérieuse de Paterne Bouty Inguemba.
Il résulte aussi des dispositions des articles énoncés ci-dessus que tous les actes qui concourent à rendre la justice pénale, appellent l’implication de la police judiciaire.
Et, il faut clairement établir qu’au nombre de ces actes, l’on retient les actes d’instructions des cabinets d’instruction, les actes d’instruction des juges d’instructions, les actes d’instruction des juridictions de jugement et les actes d’exécution des décisions de justice.
Ainsi, l’on comprend aisément que l’intervention des officiers et des agents de la police judiciaire ne se limite donc pas à l’enquête préliminaire, mais couvre aussi toutes les étapes du procès pénal, jusqu’à la fin.
Les auxiliaires de justice exerçant les fonctions de police judiciaire, n’ont pas de choix et ne devraient pas déroger aux normes. Une prise de conscience des devoirs de leurs charges, de même qu’une implication plus efficiente et plus efficace dans les procédures judiciaires pénales, sur les directives des Magistrats du Ministère Public est à observer avec la plus aiguë des rigueurs.
Il faut donc savoir que toute inobservation volontaire des obligations professionnelles par un officier ou un agent de la police judiciaire entraîne irrémédiablement pour le contrevenant, la suspension de fonction et le retrait de l’habilitation aux fonctions de police judiciaire, tel que prévu par l’article 32, alinéa 2 du code de procédure pénale.
Dans l’affaire Paterne Bouty Inguemba, des manquements graves sont aujourd’hui sans équivoque. La dissimulation de preuves pouvant établir les circonstances du décès est déjà en elle-même un cas très grave.
Il est peut-être temps que les plus hautes autorités, en tête desquelles les ministres de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense nationale mettent de l’ordre et reconsidèrent le schéma relatif à l’implantation des antennes de police judiciaire, des contres ingérences et de la sécurité militaire dans tous les départements du pays.
Cette remise à niveau permettrait de définitivement mettre un terme à la situation de quasi-monopole de la Gendarmerie nationale, en matière d’enquêtes dans nos localités.