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Gabon/Taxe d’habitation: l’impôt invisible qui va faire grimper la facture d’électricité

Par Stive Roméo Makanga

C’est une petite phrase, glissée presque à bas bruit dans le communiqué final du Conseil des ministres du jeudi 4 décembre 2025, qui pourrait pourtant produire de grands effets dans le portefeuille des ménages dès 2026. Le gouvernement a officiellement acté l’introduction d’une taxe forfaitaire d’habitation, applicable à tous les logements du pays, qu’ils soient à usage résidentiel ou professionnel. Une mesure portée au sommet de l’État par le président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, avec un objectif assumé : élargir l’assiette fiscale et renforcer la justice contributive.

Derrière l’intitulé technocratique se cache en réalité un nouvel impôt universel, appelé à toucher la quasi-totalité des foyers urbains, et dont la collecte, fait inédit, sera directement greffée à la facture d’électricité via la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG).

Une taxe universelle, mais à géométrie territoriale

Selon les termes du communiqué, la taxe forfaitaire d’habitation sera appliquée à l’ensemble des logements, sans distinction de statut (propriétaire, locataire, usage administratif ou commercial). Son montant sera fixé à partir d’une classification rigoureuse fondée sur les zones géographiques et les caractéristiques des habitations : type de construction, standing, superficie, localisation urbaine ou périurbaine.

Les zones rurales bénéficieront toutefois d’une exemption temporaire lors de la première phase de mise en œuvre, une mesure présentée comme un garde-fou social pour protéger les populations les plus vulnérables. En creux, cette exemption confirme que l’effort fiscal sera concentré sur les zones urbaines, là où la densité du parc immobilier et la solvabilité des ménages sont les plus élevées.

Combien cette taxe coûtera-t-elle concrètement au contribuable ?

À ce stade, le gouvernement n’a pas encore communiqué les barèmes officiels. Mais les projections internes, croisées avec le rendement attendu de 2,8 milliards de FCFA, permettent déjà d’esquisser des ordres de grandeur.

En se fondant sur la structure du parc immobilier urbain, plusieurs scénarios sont à l’étude :

  • Logement social ou habitat modeste : entre 1 000 et 2 000 FCFA par mois ;
  • Habitat de standing moyen : entre 3 000 et 5 000 FCFA par mois ;
  • Villas, immeubles à usage mixte ou commercial : 7 000 FCFA et plus.

Pour un ménage moyen en zone urbaine, la taxe pourrait ainsi représenter un surcoût annuel oscillant entre 12 000 et 60 000 FCFA, selon la catégorie du logement. Un montant qui peut paraître modeste sur le papier, mais qui s’ajoute à une pression budgétaire déjà sévère, entre inflation, hausse du coût de la vie et factures énergétiques irrégulières.

Une taxe directement branchée sur la facture d’électricité

C’est là que réside l’innovation la plus sensible  (et la plus redoutable ) du dispositif : la taxe sera prélevée mensuellement via la facture d’électricité, avec la SEEG comme opérateur principal de recouvrement. Concrètement, chaque consommateur verra apparaître une ligne supplémentaire sur sa facture, au même titre que la consommation en kilowattheures, les frais fixes et les taxes existantes.

Cette architecture de collecte présente un double avantage pour l’État : elle garantit un taux de recouvrement élevé, limite les coûts administratifs et réduit drastiquement les possibilités de fraude et d’évasion fiscale. Pour le contribuable, en revanche, l’effet est immédiat et mécanique : la facture d’électricité augmentera automatiquement, indépendamment du niveau réel de consommation.

Ainsi, un ménage qui paye aujourd’hui une facture mensuelle moyenne de 15 000 FCFA pourrait voir celle-ci passer à 18 000 ou 20 000 FCFA, uniquement du fait de l’intégration de la taxe d’habitation. Pour les petits commerçants, ateliers, bureaux et services, l’addition pourrait être encore plus lourde, avec des factures dépassant rapidement le seuil psychologique des 50 000 FCFA mensuels.

Une mesure fiscale au cœur du pacte républicain

Le gouvernement inscrit cette réforme dans le cadre du « pacte fiscal républicain », censé refonder la relation entre l’État et le contribuable autour d’un principe simple : chacun doit contribuer selon ses capacités, afin de garantir les ressources nécessaires à la relance économique.

Avec un rendement estimé à 2,8 milliards de FCFA par an, la taxe forfaitaire d’habitation apparaît comme une nouvelle bouffée d’oxygène pour des finances publiques sous tension. Ces ressources pourraient être fléchées vers les infrastructures de base, l’assainissement, la voirie urbaine, voire le soutien aux collectivités locales, premières concernées par l’occupation du sol et les services urbains.

Mais l’arithmétique budgétaire ne saurait suffire à faire accepter l’impôt.

Si l’efficacité technique du dispositif ne fait guère de doute, son acceptabilité sociale, elle, reste un point de vigilance majeur. Dans un pays où les délestages persistent, où la qualité du service de la SEEG est régulièrement contestée, l’adossement d’un nouvel impôt à la facture d’électricité pourrait être perçu comme une double peine : payer plus pour un service jugé défaillant.

Le risque est réel de voir s’installer une confusion entre taxation et facturation énergétique, transformant chaque coupure d’électricité en contentieux fiscal latent. D’où la nécessité, déjà évoquée par plusieurs observateurs économiques, d’un effort soutenu de pédagogie budgétaire et de transparence dans l’utilisation des recettes.

La taxe forfaitaire d’habitation n’est ni un simple détail budgétaire, ni un impôt anodin. Elle marque une inflexion notable dans la stratégie fiscale du Gabon : une fiscalité plus diffuse, plus automatisée, mais aussi plus intrusive dans la vie quotidienne des ménages.

Sa réussite dépendra d’un équilibre délicat entre rendement financier, justice sociale et amélioration visible des services publics. À défaut, cette taxe, silencieuse sur les compteurs mais sonore dans les foyers, pourrait rapidement devenir l’un des sujets les plus sensibles de l’année 2026.

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