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 Shanna Investment : l’empire tentaculaire de Noureddin Bongo Valentin qui avait pris l’État en otage

Par Stive Roméo Makanga

Il y a, dans l’histoire des dérives politico-financières, des épisodes qui semblent écrits pour illustrer la formule selon laquelle le pillage n’est jamais une fatalité, mais toujours une organisation. Avec Shanna Investment, le Gabon tient son cas d’école : une mécanique parfaitement huilée, fonctionnant dans l’ombre des palais officiels, où chaque rouage connu depuis longtemps finit, soudain, par apparaître avec une clarté brutale.

Shanna Investment : un nom qui fleure la respectabilité, la compétence, la discrétion. En réalité, une pieuvre patiemment nourrie dans l’aquarium du pouvoir, dont les tentacules, agiles et silencieuses, se sont enfoncées dans les secteurs les plus stratégiques de l’économie nationale. L’opération était d’une simplicité redoutable : pousser à l’agonie des entreprises publiques ou para-publiques, les affaiblir, les dévaloriser, puis les racheter à prix sacrifiés, sous couvert de sauvetage providentiel. Une logique de prédation méthodique, presque scientifique.

Derrière la façade, on retrouve les architectes du dispositif : Noureddin Bongo Valentin, héritier impatient et stratège en herbe de cette économie de l’entre-soi, et Abdul Océni Ossa, ami d’enfance devenu homme de main, dont la discrétion n’a d’égale que l’efficacité dans les opérations de l’ombre. Ensemble, ils ont construit un mécanisme où l’État jouait le rôle du dindon permanent, condamné à payer pour ses propres spoliations.

Les résultats sont connus, mais rarement assumés : les hôtels Radisson et Le Méridien, fleurons d’une offre touristique déjà exsangue, absorbés par Shanna Investment pour des montants qui ressemblent davantage à des braderies de liquidation qu’à des transactions sérieuses. Des groupes pharmaceutiques essentiels, eux aussi happés par la tentacule, comme si la santé publique elle-même pouvait servir de jeton dans une partie de Monopoly familial.

Le système tournait autour d’un réseau de SCI-écrans, petites boîtes opaques réparties comme des pions sur un échiquier invisible. Elles recevaient, dissimulaient, redistribuaient. De l’argent public, essentiellement. Celui destiné aux routes qu’on ne construisait pas, aux écoles qu’on ne rénovait plus, aux hôpitaux que l’on s’habituait à voir mourir. Une économie vampirisée par un organisme parasitaire auquel personne, ou presque, n’osait s’attaquer.

Ce n’était plus du détournement, c’était une prise d’otage économique, assumée avec la froideur de ceux qui confondent pouvoir et propriété. Pendant que le peuple se débattait dans les pénuries, les coupures, les services publics en ruine, Shanna Investment prospérait. Un empire de l’ombre nourri par les failles et les lâchetés du système, mais surtout par la certitude tranquille de son impunité.

Aujourd’hui, la justice tente de démêler les fils de cette toile visqueuse. L’exercice s’annonce long, car plus une structure est opaque, plus elle fuit au moment où on l’expose à la lumière. Mais un fait demeure, implacable : Shanna Investment n’était pas une aberration. Elle était la conséquence logique d’un mode de gouvernance où le clan se substitue à l’État, où l’intérêt particulier écrase systématiquement l’intérêt général.

Le Gabon réclame désormais des comptes. Et si le passé ne se répare pas, il peut au moins être mis à nu. Car une certitude s’impose : dorénavant, le silence ne pourra plus recouvrir le bruit du vol.

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