Par Stive Roméo Makanga
Lors de sa récente tournée républicaine dans le Sud de la Ngounié, région parmi les plus défavorisées du Gabon, le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, s’est illustré par des propos qui ont interpellé de nombreux observateurs. Se voulant le héraut d’un discours de réforme et de justice, il a néanmoins livré des déclarations qui, loin de traduire une véritable volonté de rupture, révèlent une rhétorique aux accents politiciens, qui échappent difficilement à l’accusation d’une réécriture opportuniste de l’histoire politique de notre pays.
Dans une prise de parole visant, semble-t-il, à justifier les réformes constitutionnelles et électorales qu’il soutient ardemment, le général président s’est interrogé : « Nous avons eu plusieurs premiers ministres depuis Léon Mba. Combien ont touché la Constitution ? Combien ont touché le Code électoral ? Pourquoi est-il venu modifier ça en 2023 ? ». Ces propos, énoncés comme une critique des ajustements récents du cadre institutionnel par le précédent pouvoir, visent sans détour le dernier Premier ministre sous le régime Bongo, c’est-à-dire Alain Claude Billie By Nze. Mais cet élan d’indignation, malgré sa tonalité accusatrice, laisse perplexe.
Certes, il est évident que le Code électoral et la Constitution ont été altérés au fil des années, souvent au service de ceux qui se sont succédé au pouvoir. Toutefois, en pointant du doigt la modification opérée en 2023 comme un élément déclencheur du fameux “Coup de la libération”, Brice Clotaire Oligui Nguema semble éluder un aspect essentiel : la succession des dérives institutionnelles bien avant cette date, auxquelles les institutions dont il faisait lui-même partie ont activement participé. En rejetant la responsabilité sur des réformes récentes, il tente de bâtir une narration où la rupture imposée par le coup d’État serait un acte salutaire, alors même qu’il était, jusqu’alors, un rouage de ce système de pouvoir.
Dans un autre passage de son discours, le numéro un gabonais a également déclaré : « Même si on t’envoie, si tu es du côté du peuple et que ton chef te demande de toucher à la Constitution et de modifier le Code électoral, tu dois te dire : monsieur le Président, je suis là pour vous porter conseil, ce n’est pas bon. Il ne l’a pas fait. Le coup de la Libération est venu à cause de lui ». Ces mots, qui appellent à une supposée loyauté envers le peuple et à une intégrité inébranlable, sonnent comme un rappel à l’indépendance des conseillers de l’exécutif. Mais à cet idéal d’abnégation et de courage politique s’oppose une réalité que nul Gabonais n’ignore : lui-même, en tant que chef d’état-major de la Garde républicaine, a été un exécutant de premier plan du régime Bongo, et ce, même dans ses heures les plus sombres.
En effet, lorsqu’en 2016, l’élection présidentielle plongea le pays dans une crise majeure, émaillée de violences et de répressions massives contre les populations, Brice Clotaire Oligui Nguema n’a jamais renoncé à sa position. Au lieu de se porter garant de la justice et des droits du peuple, il demeura un acteur clé de la garde rapprochée du président Ali Bongo Ondimba. À aucun moment, malgré les dérives, il ne quitta son poste ni ne fit entendre sa voix contre les exactions qui furent commises. En reprochant aujourd’hui à Alain Claude Billie By Nze de n’avoir pas su résister à l’autorité, il en oublie son propre parcours, marqué par une loyauté sans faille envers un pouvoir autocratique. Il est alors légitime de s’interroger sur la portée de son discours d’aujourd’hui : représente-t-il réellement un appel sincère à une gouvernance plus responsable, ou n’est-il que l’énième incarnation d’un pragmatisme politique visant à polir son image dans l’opinion publique ?
La tournure de ses propos laisse entrevoir une stratégie calculée, plus qu’un élan de vérité. En fustigeant les actions d’Alain Claude Billie By Nze, Brice Clotaire Oligui Nguema tente d’affirmer son rôle de libérateur, tout en se distanciant des travers du régime qu’il a lui-même servi avec dévouement. Cette dissociation, orchestrée avec soin, est avant tout un exercice de communication destiné à séduire une population lasse des abus de pouvoir, mais peu convaincue par ce changement de discours soudain.
Les populations de la Ngounié Sud, durement éprouvée par la précarité, n’ont que faire des effets de manches et des accusations rétrospectives. Elles attendent des actions concrètes et des mesures palpables pour améliorer leur quotidien. Mais ce discours politicien, bien éloigné des préoccupations réelles des populations, semble être en décalage total avec les enjeux de développement, et laisse plutôt un sentiment d’amertume chez de nombreux citoyens.
Brice Clotaire Oligui Nguema se présente comme un chef de transition, porteur d’un projet de rupture. Pourtant, à travers des propos qui peinent à dissimuler leur nature politicienne, il incarne malgré lui la continuité d’un discours récurrent dans l’histoire du Gabon, où le blâme des prédécesseurs sert souvent de voile à des ambitions personnelles. Les populations, attentives et éprouvéeq, observent désormais avec vigilance, et attendent que les promesses dépassent les simples effets d’annonce.
Tournée républicaine/Ngounié Sud : Nouveau dérapage de Brice Clotaire Oligui Nguema
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