Jeudi 17 juin dernier, près de 150 compatriotes ont fait le déplacement pour un pied de grue à la fonction Publique. Il s’agit des agents du Bureau d’Enquêtes des Incidents et Accidents d’Aviation (BEIAA), lesquels reprochent au ministre des Transports, Brice Constant Paillat de bloquer l’aboutissement de leurs intégrations d’une part, et leur départ en formation déjà financé à hauteur de 340 millions par l’État gabonais d’autre part. Le point de ces écueils dans cette interview avec Serge Olivier Nzikoue, directeur intérimaire du Bureau.
Kongossanews : Monsieur Nzikoue, comment interprétez-vous le sit in de vos agents à la fonction Publique la semaine écoulée ?
Serge Olivier Nzikoue : Ce qui s’est passé à la fonction Publique jeudi dernier est juste regrettable. On ne peut pas s’employer autant à embêter ses compatriotes. Les agents du Bureau d’Enquêtes sont déjà utilisés par l’État gabonais. Mieux, le même gouvernement a consenti à leur débloquer une enveloppe de 340 millions pour leur formation dans le domaine de l’aéronautique, conformément aux recommandations de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Mais vous avez un ministre qui décide pour on ne sait quelle raison, de tout bloquer.
Ces compatriotes sont à bout et ils ont décidé de se rendre à la fonction Publique pour protester.
Les agents expriment leur ras-le-bol sur l’entrisme du ministre, qui n’a, du point de vue des textes réglementaires en la matière, aucun droit, aucune prérogative sur la gestion du Bureau d’Enquêtes.
Kongossanews : Monsieur Nzikoue, selon les documents juridiques que vous nous avez transmis, nous notons que vous avez une double tutelle. Et, sur le plan fonctionnel, l’OACI est l’instance qui chapeaute toutes vos activités. Notre question est celle de savoir si elle est au courant de toutes les difficultés que vous vivez avec votre tutelle au niveau local.
Serge Olivier Nzikoue : Je vais vous répondre très franchement. Si l’international apprenait toutes ces tractations, le Gabon serait à coup sûr blacklisté.
Le Bureau d’Enquêtes jouit d’une autonomie de gestion et de fonctionnement. Le décret 00235 est assez explicite et les recommandations de l’OACI sont tout aussi claires.
Kongossanews : Nous avons pris le soin d’interroger le représentant de ces agents, qui a dit saisir très prochainement les institutions compétentes pour obtenir gain de cause.
Notre question est donc celle de savoir ce que vous ferez, si jamais ces jeunes saisissent leur avocat pour porter plainte à l’État? Si vous étiez convoqué, vous et le ministre pour explication.
Serge Olivier Nzikoue : Écoutez, je vais vous faire une observation. Notre administration a un caractère particulier.
Les gens ont dû mal à faire la distinction entre placé sous la tutelle du ministère des transports et placé sous la tutelle du ministre des transports.
Si nous étions placés sous la tutelle du ministère des Transports, le ministre, le Secrétaire général et le Directeur Central des Ressources Humaines (DCRH) devaient avoir une emprise sur nous. Ça c’est évident.
Mais nous ne sommes placés que sous la tutelle du ministre des Transports. Et comme dans d’autres pays, nous pouvons être placés sous la tutelle du premier ministre ou du président de la République.
Le ministre devrait pourtant comprendre cette réalité.
Et si jamais j’étais appelé à m’expliquer devant le Conseil d’État, ce que je ne souhaite pas, à cause de la déconvenue que l’État pourrait subir dans une telle démarche, je m’expliquerai et répondrai aux questions.
Kongossanews : pouvez-vous nous préciser la particularité de votre administration, s’il vous plaît ?
Serge Olivier Nzikoue : Comme vous le remarquez, notre administration n’a pas la dénomination de direction générale mais de Bureau.
L’explication est toute simple. Il s’agit d’un organe spécialisé à caractère diplomatique.
Dans ce contexte,les recommandations internationales sont claires. Nous jouissons d’une autonomie de fonctionnement et le ministre n’a pas d’injonctions à nous donner sur le fonctionnement.
Je le dis conformément aux exigences internationales et du décret N° 00235.
Ce décret sous-entend que le ministre nous délègue les pouvoirs.
Et, conformément au même décret, il reçoit un rapport annuel du Bureau d’Enquête.
Dans le rapport que nous lui faisons, nous apportons des PAC (plan d’actions correctives). Nous empêchons au Gabon d’être blacklisté.
Kongossanews : selon nos informations, le recrutement de ces agents pose problème. Quel est votre argumentaire ?
Serge Olivier Nzikoue: Je vais vous dire quelque chose de réel même si ça peut surprendre. Mais pour recruter ou pour une procédure de mise en conformité, nous n’avons pas besoin du quitus du ministre.
Nous nous rassurons simplement que le Gabon est en conformité avec les exigences internationales. Et les dernières recommandations de l’OACI sont claires. Le Gabon doit recruter un personnel propre qu’il devra former dans l’aéronautique.
Nous sommes un organe spécialisé. Nous sommes une administration déconcentrée à caractère diplomatique.
Et même si, dans le cadre de ces recrutements, on s’était trompé sur la démarche administrative, du moment que ces jeunes ont déjà été recrutés et utilisés par l’État gabonais, à ce niveau, l’État ne peut plus se déjuger.
Dans ce cas de figure, on apporte des mesures correctives au risque d’un procès dont l’État sera perdant et contraint à régulariser.
Kongossanews : Si jamais votre ministre et vous étiez convoqués à la barre. Quelle sera votre responsabilité ?
Devant un tribunal administratif, je ressortirai mes diplômes. Je suis le premier gabonais diplômé en la matière et qui a prêté serment.
Et mon rôle est de faire appliquer toutes les recommandations internationales afin que l’État gabonais ne soit pas blacklisté, en rappel de la convention ratifié par le Gabon en 1962.
Cette convention ne pourra jamais être torpillée par un ministre, sauf si le Gabon décide d’arrêter l’aviation.
Kongossanews : Monsieur Nzikoue, vous avez fait l’objet d’une interpellation il y a quelques semaines par des agents des services spéciaux de la présidence de la République, qui vous ont entendu. Et par la DGR aussi. À la fin de cela vous avez librement vaqué à vos occupations, sauf que votre véhicule lui, est retenu par le ministre. Nous avons du mal à suivre.
Serge Olivier Nzikoue: J’ai aussi comme vous du mal à suivre. Mais je vais être explicite. Cette voiture n’a pas été achetée par un ministre, mais par l’État gabonais, par l’entremise de la Direction générale du patrimoine de l’État, affectée aux enquêteurs du BEIAA.
Et donc, cette séquestration du véhicule est un détournement de bien public. Si nous emmenons cette affaire au parquet, il viendra répondre.
Kongossanews : le ministre vous conteste-il votre qualité d’enquêteur technique d’aviation assermenté gabonais ?
Serge Olivier Nzikoue: Saisi par un cabinet d’huissier, le ministre a reconnu l’authenticité de ma qualité d’enquêteur technique d’aviation assermenté. Il était même au Tribunal le jour où j’ai prêté serment.
Ce véhicule qu’il séquestre est bel et bien destiné au pool enquêteur.
C’est regrettable d’en arriver là.
Pour la conscience collective, lorsqu’un ministre fait un bras de fer avec un technicien, ça n’a même pas de sens.
Kongossanews : Votre salaire est bloqué depuis quelque temps déjà. On croirait une cabale.
Serge Olivier Nzikoue : Vous avez tout dit. Il s’agit désormais d’un débat de personnes. Tout ceci ne se justifie pas. Le pire c’est qu’on décide même un beau matin comme ça de bloquer les vies de jeunes gabonais qui ne demandent qu’à travailler pour leur pays. C’est dommage.
Kongossanews : Votre mot de fin.
Serge Olivier Nzikoue : En saisissant le directeur général de la fonction Publique dernièrement, ce dernier a répondu que les régularisations se feront mais que ce n’était pas urgent.
Cette réponse ne satisfait pas les agents et moi non plus.
Nos dossiers font partie des priorités, comme c’est le cas pour la santé, l’éducation et bien d’autres.
Ces pesanteurs sont causées par le ministre et il est important de rappeler que si jamais le Gabon était blacklisté pour n’avoir pas répondu positivement aux recommandations de l’OACI, cet échec sera imputé au chef de l’État.
Puisqu’il en est ainsi, nous allons désormais solliciter l’arbitrage du chef de l’État et du premier ministre.