Trans’Urb en péril : quand les grèves ignorent les réalités d’un système à bout de souffle
Par Joseph Mundruma
Il est des crises sociales qui tombent comme un coup de tonnerre, et d’autres qui ressemblent davantage à un soupir lassé de l’histoire. Ainsi, celle qui secoue aujourd’hui Trans’Urb, jeune société publique déjà usée par des années d’incertitudes, appartient clairement à cette seconde catégorie : rien, absolument rien, dans sa genèse, ne relève de la surprise. Pourtant, à en croire les agents (du moins une partie d’entre eux, principalement les conducteurs) la situation serait le produit d’une injustice profonde qu’il faudrait réparer dans l’urgence.
En effet, à la faveur d’un mouvement jugé « illégal » et « non autorisé » par la hiérarchie, les grévistes ont brandi une liste de revendications qui, à défaut d’être neuves, ont le mérite d’être exhaustives : paiement de deux années de congés impayés, versement des salaires de novembre et décembre, régularisation des cotisations sociales CNSS et CNAMGS, paiement des primes Covid et rectification des anciennetés. Or, cette accumulation témoigne moins d’un excès de zèle que d’un déficit de gestion, pour ne pas dire d’un naufrage administratif.
Cependant, à en croire une source interne ayant accepté de décrire la situation sans fard, ce mouvement, loin d’être un sursaut collectif de survie, serait le fait d’un groupe isolé faisant fi des réalités structurelles qui plombent Trans’Urb depuis sa création. Effectivement, des réalités, l’entreprise n’en manque pas : plus de 200 chauffeurs pour moins de 50 bus en circulation, un chiffre qui résume à lui seul l’absurdité du modèle. Ainsi, pour limiter l’inactivité d’un personnel pléthorique, la direction a dû inventer un système de rotation en trois shifts quotidiens, manière élégante de rappeler que l’entreprise transporte parfois davantage de chauffeurs que de passagers.
L’hémorragie financière née de la gratuité
Si Trans’Urb est aujourd’hui au bord de l’asphyxie, c’est en grande partie parce que dès 2020, l’instauration de la gratuité du transport urbain (une décision aussi populiste que dévastatrice) a brisé le fragile équilibre financier de la structure. L’État, censé compenser cette gratuité, n’a jamais réellement honoré sa dette, plongeant l’entreprise dans une spirale d’arriérés à la fois prévisible et irréversible.
Par conséquent, les retards de salaires, les impayés cumulés, les fournisseurs méfiants et le passif abyssal se sont accumulés. Selon un document officiel, Trans’Urb cumule aujourd’hui une dette de 2 milliards de francs CFA, pour un budget annuel de 3,7 milliards. Autrement dit, chaque fin de mois devient un exercice de funambulisme comptable. « Nous n’avons ni fonds ni ligne budgétaire nous permettant de fonctionner », confie, amer, un responsable.
Location, interurbain et débrouille organisée
Face à cette déroute programmée, la nouvelle équipe dirigeante a tenté de faire ce que font souvent les structures publiques confrontées à un modèle économique exsangue : bricoler. Deux activités ont ainsi été ouvertes (la location de bus et le transport interurbain) afin de capter un minimum de recettes concrètes pendant que l’État s’emmêle dans ses promesses.
Ironiquement, c’est grâce à ces activités annexes, censées être périphériques, que Trans’Urb parvient désormais à survivre. « Sans l’argent des locations et de l’interurbain, nous envisagerions la fermeture », admet-on, lucide, en interne. De plus, c’est encore grâce à ces fonds que la direction a pu débloquer 10 millions de francs CFA pour commencer à régler progressivement les fameux congés impayés. Vagues après vagues, secteurs après secteurs, tranches après tranches : un travail de fourmi pour éponger un océan.
Un passif structurel que la grève préfère ignorer
Dès lors, que la colère gronde n’étonne donc pas. En revanche, que cette colère refuse d’admettre les responsabilités multiples qui ont précipité Trans’Urb dans l’impasse actuelle est plus préoccupant. Certes, la gratuité décidée par l’État a largement contribué à tuer le modèle économique de la société ; néanmoins, d’autres choix ( internes ceux-là ) ont également laissé des traces.
En effet, l’embauche massive et le copinage, qui ont permis de constituer un sureffectif inimaginable dans une entreprise disposant de si peu de matériel, ont achevé de paralyser le système. Les bus, eux, vieillissent, tombent en panne, s’immobilisent faute de moyens pour acheter les pièces. « Nous faisons des efforts, mais il faut un véritable plan de renouvellement du parc », explique notre source. De toute évidence, cette réalité est ignorée par les conducteurs en grève, trop occupés à dénoncer la direction pour s’interroger sur le rôle joué par des années de recrutement hors de tout contrôle rationnel.
Une crise révélatrice d’un système qui s’effondre
Finalement, la grève actuelle, isolée et désavouée par les partenaires sociaux eux-mêmes, apparaît comme le symptôme d’un mal plus profond : l’incapacité chronique du service public gabonais à sortir des contradictions qu’il fabrique lui-même. Sureffectif et sous-équipement, missions élargies et finances exsangues, exigences salariales et absence de modèle économique : Trans’Urb est devenu le miroir grossissant d’un système qui persiste à produire du déficit avec l’énergie du désespoir.
En définitive, il faudra plus qu’un mouvement d’humeur, plus qu’une liste de revendications, plus qu’une énième restructuration promenée de comité en comité pour ramener de la cohérence dans ce maquis administratif. À défaut, Trans’Urb continuera de transporter, vaille que vaille, les symboles d’un pays qui préfère souvent gérer les crises plutôt que les prévenir.



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