Le dialogue national prévu en avril 2024 au Gabon suscite de nombreuses interrogations quant à ses résultats potentiels. Alors que les autorités de la Transition ont annoncé cette concertation nationale, plusieurs questions demeurent sans réponses. Noé Mesmin KONDONDO A., comme de nombreux Gabonais, s’interroge sur les sujets qui seront abordés de manière nouvelle et non répétitive par rapport aux concertations précédentes. Dans la présente tribune, il s’interroge également sur la garantie que les conclusions refléteront réellement le consensus des participants et non pas une vision préétablie. De plus, il se demande si les résolutions issues de ce dialogue auront une réelle force exécutoire et s’ils pourront espérer un nouvel esprit républicain et fraternel durable. Enfin, l’ancien élu du district de Ndangui (Ogooué-Lolo) se questionne sur la capacité de ce forum à enfin propulser le Gabon vers son développement, au-delà des débats politiques habituels.
Le dialogue national d’avril 2024 au Gabon pour quels résultats ?
Les gabonais sont supposés avoir une concertation nationale en avril prochain, c’est à dire dans moins d’un mois. C’est une décision des autorités de la Transition que nous saluons naturellement. Il reste malgré tout quelques questions sans réponses, selon nous. Celles-ci sont notamment les suivantes :
- qu’est-ce que les gabonais vont se dire, à cette occasion, qui sera nouveau pour n’avoir jamais été évoqué lors des concertations antérieures ?
- quelle garantie avons-nous quant au fait que les conclusions seront la traduction effective du consensus dégagé par les participants et non pas des réflexions anticipées de quelques rédacteurs d’un rapport général susceptible d’avoir été rédigé avant même le début des travaux, comme cela est parfois le cas lors de certaines grandes messes ?
- les résolutions issues de cette grande rencontre auront-elles force exécutoire ou pas ?
- peut-on espérer qu’il en naîtra un nouvel esprit républicain et fraternel durable ?
- l’issue de cet important forum propulsera-t-elle enfin le Gabon vers son développement ?
Ces questionnements insinuent que si ce débat national très attendu ne servira qu’à discuter de politique et d’élections une fois de plus, c’est alors une fois de trop. Si l’objet et la nature des discussions se trouveront être des rengaines de ce qui avait déjà été débattu par le passé, encore et encore sans impact sur la vie des gabonais, c’est donc une nouvelle tribune des frustrés pour se défouler ; c’est un tremplin des politiques pour vendre leurs charmes oratoires afin de s’ajuster au nouveau contexte ; c’est le moment pour quelques opportunistes de se faire des perdiems et, bien malheureusement, c’est une énième occasion pour manipuler l’opinion et pour divertir le peuple gabonais.
Cela dit, sommes-nous contre l’idée d’un dialogue national ? Loin de là ! Cela vaut-il la peine d’en organiser un ? Pourquoi pas, Omar Bongo Ondimba avait déjà habitué le Gabon à la culture du dialogue. C’est même devenu une tradition politique. D’ailleurs, d’Omar Bongo Ondimba à Ali Bongo Ondimba, nous avons connu ces grandes dates de débat national : 1990, 1994, 2006, 2017 et 2023. Chacun de nous en a probablement gardé un goût et un souvenir particuliers. Pourquoi le CTRI ne ferait-il pas alors le sien ? Toutefois, quand on sait ce que cela coûte, soit 5 milliards de FCFA pour le prochain et pour des résultats qui seront peut-être mitigés ou très limités, on peut raisonnablement s’interroger sur la nécessité d’en organiser un de trop.
Au fait, depuis quelques jours, nous entendons plusieurs acteurs de la scène publique marquer leur préférence pour une conférence nationale souveraine au détriment d’un dialogue national. Certains insistent aussi sur un format qui circonscrirait les débats autour de la prochaine constitution, du code électoral, du code de nationalité, du code foncier et des questions de transparence électorale. En considérant que les autres préoccupations des gabonais seraient sociales, subsidiaires et relèveraient simplement des départements sectoriels. C’est tout à fait leur droit de le penser. Tout comme c’est le nôtre de penser différemment et c’est cela la liberté de penser.
En premier lieu, leur conception obligerait le gouvernement à revenir sur ses engagements en rendant inutile au passage la campagne nationale de collecte, plusieurs mois durant, de contributions des citoyens sur tous les sujets. Quelle perte de temps et d’énergie, quel gâchis ce serait ! En deuxième lieu, leur fixation, peut-être justifiée, sur les questions électorales n’est ni une nouveauté par rapport aux dialogues précédents ni une garantie pour la réussite de celui-ci. Par ailleurs, sauf méprise, nous ne percevons pas ce qui ôterait le caractère sectoriel aussi aux préoccupations touchant la nationalité, le foncier, les questions électorales, etc. En troisième lieu, enfin, une conférence nationale souveraine est un moment de rupture politique en vue d’un nouvel avenir institutionnel pour le pays. Or, le caractère exécutoire voulu aux résolutions d’une telle rencontre n’empêchera nullement de nouvelles violations tant que l’état d’esprit des acteurs politiques n’aura pas significativement évolué. Pour nous en convaincre, pensons aux pays africains qui avaient organisé des conférences nationales souveraines au début des années 90. D’ailleurs, quoi de plus souverain que la constitution d’un pays ? Son adoption n’a-t-elle pas souvent fait l’objet de violations dans plusieurs pays du monde ? De même, quoi de plus souverain en cette période de Transition que la Charte qui en constitue le socle légal ? Peut-on raisonnablement affirmer que celle du Gabon est exempte de violations malgré la volonté affichée d’un essor vers la félicité ? Dans tous les cas, nul ne peut en disconvenir, la nature des hommes est le problème. Ce qui importe donc ce sont les résultats escomptés pour la nation et non le format de cette messe nationale. Ils doivent être concrets, constructifs et susceptibles de produire les transformations souhaitées pour notre société, grâce à une prise de conscience collective profonde de leur nécessité pour la nation. Louis XIV affirmait que « Les peuples sur qui nous régnons, ne pouvant pénétrer le fond des choses, règlent d’ordinaire leurs jugements sur ce qu’ils voient au dehors (…) ».
Dans cette veine, si la stabilité politique de notre pays passe par le besoin d’un nouveau format institutionnel, tant mieux. Par contre, la seule reconfiguration institutionnelle et politique du Gabon ne permettra jamais mécaniquement son développement. D’où, une centration excessive sur les débats uniquement politiques n’aidera pas vraiment le pays à prendre l’essor souhaité. Un pays s’épanouit et se développe en réduisant la pauvreté grâce à une économie florissante qui créé des emplois et élève le niveau de vie, d’éducation et de santé de son peuple. De notre point de vue, tous les arguments qui tentent de structurer la concertation nationale autour de la politique uniquement constituent une antienne et ne font en rien progresser les choses. Le progrès c’est lorsque de nouvelles idées et une nouvelle volonté ont raison de l’inertie et des pressions conservatrices en vue de hisser le pays vers des perspectives plus vertueuses et plus heureuses.
En fait, les gabonais veulent : la sécurité dans leur pays et la fin des crimes crapuleux dits rituels ; la priorité aux nationaux en toutes choses ; des dirigeants qui placent le bien-être des gabonais au cœur de leur gouvernance ; un Gabon appuyé sur Dieu et les traditions des ancêtres et non pas sur des philosophies dites modernistes, venues d’ailleurs et qui n’ont à ce jour rien apporté. Les gabonais revendiquent une liberté d’expression et d’opinion qui imprègne aussi le fonctionnement des partis politiques. Ils appellent au soutien de nos entrepreneurs et réclament l’amélioration des conditions de travail des personnels de santé et des enseignants. Les étudiants réclament leurs bourses et de meilleures conditions pour leur épanouissement intellectuel, quand les enseignants-chercheurs, eux, prônent pour une réforme en profondeur de l’université gabonaise pouvant aboutir à une loi de programmation qui afficherait fièrement notre université dans l’inévitable compétition avec d’autres. Les cris des gabonais attirent l’attention des dirigeants sur la situation très pénible des défavorisés de notre société, sur le manque d’eau dans les ménages, sur les souffrances atroces des compatriotes abandonnés à eux-mêmes dans leur lutte nuit et jour avec des maladies chroniques, sur le cas préoccupant des personnes à mobilité réduite et des enfants vivant avec un handicap, sur les maigres revenus des travailleurs, sur la vie chère, sur la gabonisation des postes de responsabilité, sur le pillage de nos ressources par des entreprises illégales de voyous, sur la maltraitance de nos populations rurales par les éléphants destructeurs de champs ainsi que sur l’état de nos nombreuses routes devenues totalement impraticables. Les gabonais souhaiteraient qu’il y ait de la transparence lors des élections mais aussi lors des concours, ainsi que dans l’attribution de bourses d’étude à l’expatriation et dans l’attribution des marchés publics aux entrepreneurs. Les gabonais réclament une répartition équitable des projets de développement dans toutes les provinces en mettant fin aux éléphants blancs. Ils veulent d’une justice équitable, non sélective et non personnelle, respectueuse des procédures. Ils exigent la fin de la corruption, du népotisme, de l’ethnisme et du tribalisme. Ils demandent la bonne gouvernance, la répression des fraudes et des détournements des deniers publics. Les gabonais voudraient que les personnes compétentes au travail soient encouragées et promues au détriment des affinités et du favoritisme à l’égard des gabonais de certaines régions seulement ou de certaines familles. Mieux, les gabonais réfléchiraient aussi à haute voix à propos de la persistance mystérieuse des comptes d’opération de la banque de France qui retiendraient les devises étrangères issues des exportations gabonaises. Ils s’interrogent sur l’impérialisme du FCFA sur notre économie, du reste privée de stratégie à ce jour. Enfin, ils veulent également sonder les justifications peu convaincantes d’une présence prolongée des troupes militaires françaises sur le territoire gabonais ainsi que celles de la continuité de la Françafrique dans nos relations avec la France. Ce sont là leurs préoccupations.
Si ce dialogue, aux contours encore flous à moins d’un mois de sa tenue, n’aboutit pas à des propositions concrètes et exécutoires favorisant l’émergence d’une république non vexatoire et d’un Etat délesté du néo-patrimonialisme, nous aurons raté notre devoir envers le peuple et le rendez-vous de l’histoire. Nous n’aurons alors privilégié qu’une débauche financière et des empoignades entre gabonais qui ne sauraient grandir notre pays.
A ce sujet, nous pensons humblement, mais nous pouvons nous tromper, que tant que les acteurs seront les mêmes, avec les mêmes objectifs, les mêmes manœuvres et les mêmes appétences, il devient très difficile d’obtenir des résultats différents en faisant toujours la même chose. Dès lors, il y a fort à craindre sous peu une grande désillusion des gabonais. Pendant ce temps, malheureusement, les jeunes en payent le prix fort. Et, à leurs cris de désespoir depuis leur chômage accablant, certains leur répondent sereinement que l’Etat ne peut pas tout faire. Or, ceux qui le leur disent, sans sourciller, ce sont paradoxalement ceux qui n’ont eu tout dans leur vie que grâce à l’Etat : leurs études, leur emploi, leur carrière, leurs accomplissements, y compris leur train de vie onéreux et leur important patrimoine. Allez-y comprendre quelque chose.
Quoi qu’il en soit, nous pourrons en débattre indéfiniment sans tomber d’accord. Ces débats ne seront qu’une simple confrontation d’idées entre ceux qui tiennent à avoir toujours raison, refusant de s’humilier, face à d’autres citoyens qui évaluent à juste titre le vécu collectif. Pour autant, cela ne constituera pas en soi la solution aux problèmes des oubliés de la république.
Mais la loi des semailles n’a que faire de ces débats. Le temps lui permettra de révéler, lors de la récolte, la nature exacte des graines semées par nos actes d’aujourd’hui pour notre pays. Sans complaisance, la postérité nous jugera. Omar Bongo Ondimba ne s’en était pas plaint en vain.
Samuel Blumenfeld, acteur de cinéma, critique dans le journal Le Monde et auteur de plusieurs ouvrages, nous rappelle que « Le recul permet toujours de mieux apprécier les choses, et de redonner à certains évènements la place qu’ils méritent ». Telle est aussi notre ferme conviction, à propos de la place que mérite ce dialogue national imminent dont la mauvaise préparation pourrait justifier un report.
Libreville, le 07 mars 2024
Noé Mesmin KONDONDO A.
Citoyen gabonais,
Fils de Ndangui (Cf. Lastoursville)