Par Stive Roméo Makanga
Plus d’un an après le début de la Transition, amorcée par le coup d’État du 30 août 2023, les professionnels de la presse privée gabonaise sont de plus en plus sceptiques face aux promesses du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI). Malgré les engagements pris par le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, et notamment par le Communiqué N°041 daté du 25 janvier 2024, la situation de la presse privée semble s’être davantage détériorée. Une situation équivoque, qui suscite à la fois incompréhension et désenchantement, ce d’autant que jusqu’ici, le processus du paiement de la subvention pour cette édition 2024, semble connaître un important retard à l’allumage.
Peu après son accession au pouvoir, lors d’une rencontre avec les patrons de presse au Palais Rénovation, Brice Clotaire Oligui Nguema avait assuré que des véhicules leur seraient attribués. Ces moyens logistiques devaient améliorer leurs conditions de travail et permettre la diffusion d’une information de qualité. Une nouvelle qui avait été accueillie avec un enthousiasme particulier. Pourtant, dans les coulisses, il apparaît que certains médias ont bien reçu ces véhicules, mais dans la plus grande discrétion. Pour quelles raisons ? Motus et boule de gomme.
Cette distribution, partielle et opaque, a engendré d’autres questions : cette opération s’est-elle faite avec l’approbation du président de la Transition ? Son silence sur le sujet laisse place à des doutes légitimes. Si ces promesses étaient destinées à n’être tenues qu’en partie, pourquoi les avoir formulées devant tous ? Comme le dit l’adage : « Une promesse est une dette ». Mieux, ces questionnements avaient été réitérés aux services compétents de la présidence de la République, qui œuvrent dans la plus grande discrétion. Plusieurs mois après, le silence est d’une viscosité impressionnante.
Mais le désenchantement des patrons de presse s’est également accentué lors du Dialogue national. Déjà confrontés à de multiples défis, ces derniers espéraient bénéficier d’un soutien semblable à celui reçu lors du Dialogue politique d’Angondjé en 2017, sous le régime d’Ali Bongo Ondimba. Il faut reconnaître qu’à cette époque, la presse, publique et privée, avait été traitée avec considération, y compris par le biais de jetons de présence.
En revanche, le dernier Dialogue national s’est distingué par une marginalisation marquée de la presse privée. Cette déception a d’ailleurs atteint son paroxysme lors du référendum du 16 novembre 2024. Si la Haute Autorité de la Communication (HAC), dirigée par Germain Ngoyo Moussavou, a pris soin des journalistes sollicités pour la couverture de cet événement historique, avec une délicatesse exemplaire, le Ministère de la Communication, quant à lui, a confirmé sa thèse devenue si redondante: “La presse privée doit travailler gratuitement”, là où pourtant même les acteurs du public sont remerciés en perdiems symboliques. Pire, lors de sa conférence de presse de restitution, la ministre Laurence Ndong aurait affirmé avec condescendance : « Ce n’est pas tout le temps qu’on doit vous payer ». C’est dire!
Pour ce qui est de la subvention annuelle de la presse privée, fixée à 500 millions de francs CFA par le communiqué N°041, elle pourrait être saucissonnée de 100 millions cette année. Une situation inédite depuis son instauration par feu Omar Bongo Ondimba. Avec le foisonnement actuel des médias, cette enveloppe était déjà insuffisante ; la réduire davantage revient à asphyxier un secteur vital.
Et puis, force est de faire constater que c’est bien la première fois que les patrons de presse arrivent au mois de décembre, et qu’aucune commission ne se soit encore tenue pour des raisons inexpliquées. Pourtant, au regard du retard accusé, la fin de l’exercice budgétaire étant pour bientôt, la ministre de la Communication aurait pu convoquer les organisations de la presse pour information. Mais rien du tout. Chacun y va désormais de sa spéculation, l’hostilité cultivée par Laurence Ndong ayant considérablement fait son effet.
Il faut dire que sous l’ancien régime, Alain Claude Billie By Nze mis à part, aucun membre du gouvernement nommé à ce poste n’avait entretenu des rapports aussi conflictuels avec la presse. Bien au contraire. Le partenariat établi était tel que les médias dans leur entièreté ont souvent pu tirer leur épingle du jeu. Certes, il y a eu des moments de grande perturbation, surtout lors du deuxième mandat d’Ali Bongo Ondimba, mais la cordialité y a toujours été.
Face à tous ces quiproquos, certains estiment que les collaborateurs du général chercheraient à maintenir les acteurs de la presse privée dans une précarité chronique. Un paradoxe, alors que sous les régimes précédents, malgré des tensions occasionnelles, des partenariats constructifs avaient permis à la presse de fonctionner tant bien que mal. La Transition aurait pu être ce moment de rassemblement et de cohésion, pour l’accomplissement de buts communs. Que nenni!
S’ils avaient fait un effort de projection, les collaborateurs du président de la Transition sauraient qu’il y a intérêt à soutenir la presse privée. En plus d’être un vecteur d’information essentiel, elle constitue un potentiel levier d’employabilité pour les jeunes diplômés issus des écoles de journalisme. Alors que les médias publics ne peuvent absorber tout ce vivier de talents, un secteur privé dynamique pourrait y contribuer. C’est une évidence.
Mais sous la Transition, la presse privée est confrontée à de multiples interrogations : promesses présidentielles non tenues, relations conflictuelles avec le Ministère de la Communication et opacité des décisions. Malgré tout, les professionnels du secteur restent convaincus d’une chose : la presse privée survivra.
Les régimes passeront, les pouvoirs changeront, mais elle continuera d’exister. Forte de sa robustesse, elle reste un pilier fondamental de la démocratie et de la liberté d’expression au Gabon.