Par Stive Roméo Makanga
Depuis le coup d’État du 30 août 2023, qui a mis fin au régime d’Ali Bongo Ondimba, Brice Clotaire Oligui Nguema, président du Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI), n’a cessé de multiplier les initiatives, prétendument au nom de la restauration de l’ordre institutionnel. Cependant, les décisions prises par le général président semblent plutôt indiquer que la transition politique promise aux civils n’a jamais été envisagée sérieusement. En effet, sous couvert de réformes et de grands travaux, le président de la Transition a engagé le Gabon dans une dynamique qui s’écarte de plus en plus des priorités d’une transition authentiquement démocratique.
Dès les premières heures du coup d’État, les militaires, à travers le CTRI, avaient justifié leur action par la nécessité de rétablir des institutions défaillantes et de remettre le pouvoir aux civils dans un délai raisonnable. Or, un an après ces événements, il apparaît que la restauration des institutions, qui devait être l’objectif premier, a laissé place à une série de chantiers dans divers secteurs du pays. Ces projets, certes nécessaires à long terme, posent question quant à leur pertinence dans le cadre d’une période de transition. Plutôt que de concentrer ses efforts sur l’organisation d’élections libres et transparentes, Brice Clotaire Oligui Nguema semble privilégier des actions visant à renforcer son assise politique, ce qui contraste avec l’objectif de retour rapide à un régime civil.
À titre d’exemple, le projet de nouvelle Constitution, soumis au parlement depuis le 14 septembre 2024, suscite de vives critiques, non seulement par son contenu, mais aussi par sa démarche. Plusieurs dispositions de ce texte, jugées controversées, visent à concentrer davantage de pouvoirs entre les mains de l’exécutif, au détriment des autres institutions censées garantir la séparation des pouvoirs et la démocratie. De même, la question de qui peut être président de la République ? Cette seule préoccupation crée la division entre gabonais, et ne saurait consolider notre unité nationale.
Une constitution n’a pas vocation à diviser, mais plutôt à définir l’organisation et le fonctionnement des institutions publiques, en fixant les règles fondamentales qui régissent l’exercice du pouvoir politique. Elle a aussi vocation à garantir les droits et libertés des citoyens, tout en établissant un équilibre entre les différentes branches du gouvernement pour prévenir les abus de pouvoir. C’était une parenthèse.
Mais disons-le, aujourd’hui, de nombreux observateurs y voient (dans tout ce qui est fait) une tentative à peine voilée de prolonger indéfiniment la transition, voire de la pérenniser sous une nouvelle forme de régime autoritaire.
De plus, le lancement simultané de nombreux chantiers à travers le pays peut être perçu comme une stratégie de diversion, c’est-à-dire en détournant l’attention des populations des véritables enjeux politiques. Ces travaux, bien que prometteurs pour l’avenir du Gabon, ne sauraient justifier la mise en suspens du processus de démocratisation. Les priorités d’une transition politique résident dans l’établissement de bases solides pour une gouvernance civile et non dans une expansion des infrastructures ou des réformes institutionnelles orientées vers une centralisation accrue du pouvoir.
La crainte qui se dessine, au regard de ces développements, est que Brice Clotaire Oligui Nguema ne cherche qu’à consolider son pouvoir sous prétexte de restaurer les institutions. L’argument de la reconstruction institutionnelle, invoqué par le CTRI, semble avoir été instrumentalisé pour légitimer un contrôle prolongé sur l’appareil d’État. Le peuple gabonais, qui avait vu dans ce coup d’État l’espoir d’un renouveau démocratique, est aujourd’hui confronté à la réalité d’une transition qui risque de se transformer en régime de fait.
Disons-le sans langue de bois, la conduite actuelle du général de brigade Brice Clotaire Oligui Nguema et les actions du CTRI révèlent une intention occulte de garder le pouvoir bien au-delà du calendrier initialement annoncé. L’accumulation de pouvoirs, la soumission d’une nouvelle Constitution controversée, et la multiplication des chantiers non prioritaires en période de transition sont autant d’indices qui confortent l’idée que les militaires n’ont jamais réellement eu l’intention de rendre le pouvoir aux civils. Dans ce contexte, la vigilance s’impose pour garantir que cette transition ne devienne pas une autre forme de dérive autoritaire, comme celle d’Ali Bongo Ondimba. Prudence oblige.