SEEG/KARPOWERSHIP : de 12 milliards de FCFA par mois à 1,8 milliard, que s’est-il passé ?
Par Stive Roméo Makanga (Directeur de publication)
La crise énergétique qui s’abat sur le Gabon depuis plusieurs mois expose, avec une brutalité crue, les failles d’un système gangrené par des pratiques peu scrupuleuses. Les délestages à répétition, les rationnements d’eau et les dysfonctionnements chroniques de nos infrastructures ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En plongeant dans les profondeurs de ce dossier, un élément interpelle particulièrement : le montant des paiements mensuels dus à Karpowership, cette société turque chargée de fournir de l’électricité au Gabon à travers ses bateaux-centrales.
Jusqu’à récemment, ce montant avait été fixé à la coquette somme de 12 milliards de FCFA par mois. Depuis peu, il a mystérieusement été revu à la baisse, à hauteur de 1,8 milliard. Une diminution drastique qui, au premier regard, pourrait paraître comme une excellente nouvelle pour les finances publiques. Mais, à y regarder de plus près, elle soulève des interrogations brûlantes : si les termes du contrat n’ont pas changé, pourquoi un tel écart ?
Le soupçon, aussi évident que dérangeant, pointe vers une pratique aussi vieille que détestable : les rétrocommissions. Ces arrangements occultes, par lesquels des décideurs publics empochent des ristournes sur des contrats surfacturés, sont un fléau qui gangrène notre administration publique depuis des décennies. La réduction spectaculaire des paiements à Karpowership laisse penser qu’une partie des sommes exorbitantes précédemment facturées ne servait pas à payer l’énergie consommée, mais à graisser des rouages bien moins avouables.
Revenons-en aux faits. En 2019, alors que la crise énergétique battait déjà son plein, des autorités gabonaises, manifestement pressées de trouver une solution, ont conclu un contrat avec Karpowership. Cette entreprise turque propose un concept séduisant sur le papier : des centrales électriques flottantes, capables de fournir une énergie temporaire pour pallier des déficits structurels. Mais le prix à payer semblait exorbitant dès le départ.
Le montant de 12 milliards de FCFA par mois, validé récemment, était non seulement disproportionné, mais aussi suspect. L’opacité autour des négociations et l’absence d’une réelle mise en concurrence laissaient planer des doutes sur la probité de ce marché. Aujourd’hui, avec la révision à 1,8 milliard de FCFA, la question est claire : pourquoi cette correction n’a-t-elle pas été effectuée dès le départ ? That is the question, comme j’aime à le dire.
Les rétrocommissions sont un mal endémique qui gangrène notre administration publique. Ces pratiques ne se limitent pas à siphonner les finances de l’État : elles ont des répercussions directes sur la qualité de vie des Gabonais. Chaque milliard détourné est autant d’argent qui aurait pu servir à renforcer les infrastructures énergétiques, à moderniser les équipements, ou à garantir une meilleure distribution de l’eau et de l’électricité.
Dans le cas de Karpowership, il est raisonnable de penser que certaines autorités ont profité de l’urgence de la situation pour imposer un contrat aux montants artificiellement gonflés, tout en engrangeant des gains personnels au détriment de la collectivité.
Cette affaire tombe à point nommé pour la Transition en cours. Si le Président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, veut réellement marquer une rupture avec les pratiques du passé, il doit s’attaquer frontalement à ce type de dérives. La révision des montants versés à Karpowership est un bon début, mais elle ne suffira pas.
Il est impératif de mener une enquête exhaustive, un audit profond sur les circonstances ayant entouré la signature du contrat initial. Les responsables de ces arrangements douteux doivent être identifiés et traduits en justice. Parallèlement, il est temps de revoir de fond en comble le modèle énergétique du Gabon. L’importation d’énergie via des entreprises étrangères ne peut être qu’une solution transitoire ; à long terme, le pays doit investir dans ses propres infrastructures.
Cette affaire Karpowership doit servir de leçon. Elle illustre parfaitement comment des pratiques opaques peuvent asphyxier l’économie nationale et aggraver la précarité des populations. Tant que les rétrocommissions et autres arrangements illicites continueront à parasiter notre administration, les Gabonais en paieront le prix fort.
En ramenant les paiements à un montant plus raisonnable, la Transition a ouvert une brèche pour rétablir un semblant de justice. Mais il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin. L’assainissement des pratiques administratives, couplé à une vision énergétique ambitieuse et autonome, est la seule voie pour sortir de cet engrenage de crises. Le moment est venu d’écrire une nouvelle page, débarrassée des travers du passé.
NB: Le montage photo a été réalisé par nos confrères de Gabonreview
Laisser un commentaire