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Mali : la vérité sur le supposé putsch du 10 août 2025

Par Stive Roméo Makanga

Le 10 août 2025 restera comme une date de tension et d’interrogations à Bamako : des dizaines de militaires arrêtés, deux généraux cités dans les affaires, un ressortissant français interpellé, et une junte qui annonce avoir « déjoué » un complot. Au-delà du bruit des convocations et des communiqués officiels, que disent réellement les faits ? En croisant dépêches, enquêtes et analyses, il apparaît que l’événement relève autant d’une démonstration de force interne que d’un écran de fumée politique.

Les premières informations, diffusées dès le 10 août, faisaient état de l’arrestation d’au moins deux dizaines voire plus d’une trentaine de militaires (gradés et subalternes) accusés d’avoir préparé de « graves actes » contre la junte au pouvoir. Les autorités maliennes ont présenté ces interpellations comme la mise à jour d’un complot visant à « déstabiliser » le pays ; l’AN s’en est fait l’écho, tandis que les médias internationaux recensaient les principaux protagonistes présumés.

Parmi les éléments les plus troublants : la détention d’un Français, présenté par la junte comme lié à des services étrangers. Paris a vigoureusement démenti toute implication de ses services et qualifié l’arrestation de son ressortissant d’« infondée ». Un épisode qui a immédiatement ravivé la tension diplomatique déjà vive entre Bamako et la France depuis l’expulsion des forces françaises et la montée en puissance d’alliances alternative.

Derrière la communication officielle, des interprétations concurrentes abondent. Pour une partie de la presse européenne, ces arrestations s’apparentent à une manœuvre de consolidation du pouvoir : la junte neutraliserait d’éventuels chefs militaires autonomes, çà et là critiques ou simplement susceptibles de prétendre à une légitimité parallèle. Plusieurs observateurs estiment que Bamako utilise la rhétorique de la « conspiration étrangère » pour légitimer une répression ciblée.

Il ne faudrait toutefois pas caricaturer la situation en réduisant tout à une purge politicienne. Le Mali traverse, depuis plusieurs années, une crise sécuritaire aiguë : attaques jihadistes, fragilité de l’État, frustrante érosion des capacités nationales. Dans ce contexte, les risques de frictions internes au sein des forces armées sont réels: rivalités de commandement, différends sur la stratégie sécuritaire, et crispations autour du calendrier politique. Ces tensions fournissent un terreau où une mésentente peut être interprétée comme une « tentative de putsch ».

Sur la réalité factuelle d’un « putsch » organisé le 10 août, les preuves publiques restent pour l’instant ténues. Aucun élément irréfutable (prise de points névralgiques, communication coordonnée d’un présumé comité de salut public, ou ralliement visible d’unités) n’a été produit par les autorités. Les annonces se sont concentrées sur des interpellations et des accusations ; la démonstration matérielle d’un coup d’État manqué n’a pas été apportée au dossier. Autrement dit : la tentative telle que décrite par la junte n’apparaît pas, à ce stade, comme incontestablement avérée.

La portée internationale de l’affaire est double. D’une part, elle entretient l’isolement diplomatique de Bamako : accusations envers « puissances étrangères » et arrestation de ressortissants attisent la défiance. D’autre part, elle sert d’outil de message interne : montrer que la junte « veille » et maîtrise la situation. Ces deux fonctions sont compatibles et expliquent pourquoi l’exécutif militaire multiplie les mises en scène procédurales autour de la sécurité de l’État.

Que faut-il donc retenir ? D’abord, que le récit officiel (« complot déjoué le 10 août ») mérite d’être mis en parallèle avec l’absence de preuves publiques corroborantes. Ensuite, que les arrestations reflètent une réalité : Bamako vit une phase de durcissement politique et d’atomisation des équilibres militaires. Enfin, que la communauté internationale, et singulièrement la France, observent ces développements avec inquiétude et scepticisme, ce qui ne présage rien de bon pour les possibilités de désescalade.

Pour l’heure, l’histoire du 10 août 2025 ressemble à un épisode symptomatique : moins le récit d’un putsch manqué que la photographie d’un pouvoir qui se redéfinit ( en partie par la force, en partie par la narrativité ) face à des défis de sécurité et d’autorité. La vérité complète n’apparaîtra que si des éléments concrets sont communiqués : actes d’enquête transparents, révélations judiciaires, témoignages indépendants. En attendant, le Mali reste sur le fil, et chaque arrestation accroît le risque d’un embrasement politique au sein d’une armée poussé à l’orthodoxie.

 

 

 

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