Gabon : les rebuts ferreux, un trésor national bradé au profit des voisins
Par Joseph Moundruma
Alors que le Gabon cherche à renforcer sa souveraineté industrielle et à soutenir la relance de son économie, une pratique pour le moins troublante attire les regards : l’exportation illégale des rebuts ferreux vers le Congo-Brazzaville, avant leur réexpédition vers l’Inde. Un trafic bien rodé, qui appauvrit le tissu industriel national tout en enrichissant les pays voisins.
Sur les sites de collecte de Mindoubé, dans la périphérie de Libreville, les conteneurs s’alignent et se remplissent à un rythme effréné. En deux jours, une trentaine de conteneurs auraient quitté le territoire, à destination du Congo-Brazzaville. À première vue, rien d’anormal : le commerce du fer usagé est une activité reconnue et encadrée. Mais à y regarder de plus près, ces expéditions cachent une tout autre réalité.
Car la loi gabonaise est claire : les rebuts ferreux ne peuvent être exportés que lorsque la demande des industries locales est satisfaite. Une disposition censée garantir l’approvisionnement des fonderies et la production du fer à béton, essentiel aux grands chantiers publics.
Or, malgré cette exigence, des collecteurs peu scrupuleux préfèrent vendre à l’étranger, séduits par les marges confortables offertes par le marché indien.
Le plus inquiétant dans cette affaire, c’est la facilité avec laquelle ces opérations se déroulent. D’après plusieurs témoignages, ces conteneurs franchissent les contrôles sans grande difficulté, parfois même « avec la bénédiction tacite » de certains services administratifs. Douanes, commerce, industrie : les institutions censées veiller à la régulation du secteur semblent, au mieux, débordées ; au pire, complaisantes.
Ce laxisme ouvre la voie à une véritable saignée économique. Car chaque tonne de rebuts qui quitte le Gabon prive les entreprises locales d’une ressource vitale, tout en affaiblissant leur compétitivité. Résultat : les usines tournent au ralenti, et le fer à béton se fait de plus en plus rare sur le marché national.
Cette pénurie provoque déjà une hausse des prix. Une situation d’autant plus préoccupante que le gouvernement avait négocié, il y a peu, un tarif préférentiel du fer à béton avec les industriels, dans le cadre de sa politique de lutte contre la vie chère. Si rien n’est fait, ce fragile équilibre risque de voler en éclats, avec des répercussions directes sur le coût des logements et des infrastructures.
Pour nombre d’observateurs, cette situation relève d’une défaillance du contrôle étatique et d’une absence de vision stratégique dans la gestion des ressources secondaires. « Comment comprendre qu’un pays qui aspire à l’émergence industrielle laisse filer sa matière première vers l’étranger ? », s’interroge un acteur du secteur.
Pendant que le Gabon se vide de ses rebuts, le Congo-Brazzaville, lui, capitalise : ses industries tournent à plein régime et son économie tire profit de ce commerce lucratif. L’Inde, en bout de chaîne, se frotte également les mains, assurée d’un approvisionnement régulier.
Le constat est implacable : le Gabon perd sur tous les fronts. Ce détournement organisé appelle donc une réaction urgente des pouvoirs publics. Renforcer les contrôles, responsabiliser les administrations, sanctionner les contrevenants : telles sont les conditions pour sauver une filière stratégique déjà fragilisée.
Laisser partir les rebuts ferreux, c’est renoncer à une partie de la souveraineté économique nationale. Et à l’heure où chaque tonne de métal compte, le pays ne peut plus se permettre ce luxe.
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