Justice/Gabon : Jessye Ella Ekogha, « suffisant, orgueilleux, condescendant » devant la Cour
Par Stive Roméo Makanga
On attendait des éclaircissements. On n’aura eu que des circonvolutions. Ce matin à la barre, Jessye Ella Ekogha, ancien conseiller spécial chargé de la communication présidentielle, a offert à la Cour une prestation d’une prudence presque chirurgicale, faite d’esquives, de demi-mots et de silences méticuleusement entretenus. Comme si nommer les faits revenait déjà à les reconnaître. Comme si restituer le réel constituait une faute.
Interrogé sur sa présence (pourtant attestée) au Centre Gabonais des Élections (CGE) dans la nuit du 29 août 2023, l’ancien porte-voix d’Ali Bongo a refusé de s’aventurer dans la moindre reconnaissance claire. Pas une fois, il n’a admis l’évidence : ni lui, ni la presse présidentielle qu’il dirigeait alors n’avaient légitimité à se trouver dans l’enceinte d’une institution supposée garantir la neutralité et la transparence du scrutin. Cette simple idée, pourtant élémentaire dans toute démocratie ordinaire, semble encore aujourd’hui lui écorcher les lèvres.
Les faits, eux, sont implacables. Le CGE, dans le strict cadre qui régit l’annonce des résultats, n’autorise que la presse nationale et les organes publics habilités à enregistrer et diffuser la proclamation officielle. Ni plus, ni moins. La communication présidentielle (dont la vocation est de servir le chef de l’État, non de couvrir la vie institutionnelle) ne figure nulle part dans ce dispositif.
Et pourtant, le 29 août, alors qu’aucune rédaction nationale n’était autorisée à entrer, l’accès fut soigneusement verrouillé : médias publics bloqués, presse internationale maintenue à distance, réseaux sociaux coupés. À la place : une équipe constituée de Jessye Ella Ekogha, de ses collaborateurs, et de techniciens relevant directement de la présidence. Une présence aussi irrégulière que stratégique, qui a transformé un moment solennel en opération privée.
Les témoignages entendus aujourd’hui sont accablants. Les équipes de Gabon 24, mobilisées dès le 27 août, dormaient au studio depuis trois jours. Leur direction générale avait même installé une cellule à l’hôtel situé face à la clinique Chambrier. Toutes attendaient des instructions qui, selon plusieurs déclarations, n’arrivaient que d’un seul homme : Jessye Ella Ekogha. Par son intermédiaire, le ministre de la Communication de l’époque, Rodrigue Bissawou, servait de relais opérationnel. Une chaîne de commandement parallèle, entièrement pilotée depuis le Palais.
Ce que la Cour découvre, c’est moins une improvisation qu’un mécanisme organisé. La proclamation des résultats devait initialement intervenir dès le 27 août. Tout avait été préparé. La communication présidentielle (structure qui, rappelons-le, « n’est pas un média ») avait centralisé le contrôle de la diffusion, verrouillé l’accès des journalistes, et façonné une mise en scène destinée à ne laisser filtrer qu’une seule version des événements : la leur.
La question du budget de communication, évoquée par les témoins, plane comme une ombre supplémentaire. Comment fut-il géré ? Par qui ? Au bénéfice de quoi ? Aucune réponse aujourd’hui, seulement davantage d’opacité, soigneusement entretenue par celui qui en fut l’architecte.
À la barre, un témoin « orgueilleux et condescendant »
L’attitude de Jessye Ella Ekogha, décrite par plusieurs observateurs comme « orgueilleuse, condescendante et très suffisante », tranche avec les exigences de transparence qui accompagnent ce procès. En refusant de qualifier ce qui apparaît, à la lumière des faits, comme une instrumentalisation manifeste des institutions électorales, l’ancien conseiller entretient l’ombre d’un système qui, à l’époque, semblait considérer l’appareil d’État comme une simple extension du pouvoir présidentiel.
Ce procès, qui dissèque les mécanismes du 29 août, révèle bien plus qu’une dérive ponctuelle. Il met au jour une architecture politique où la communication n’était plus un outil, mais une arme ; où la maîtrise de l’image tenait lieu de vérité ; où les institutions, même les plus sensibles, pouvaient être détournées au nom d’intérêts privés.
Et ce matin, à la barre, Jessye Ella Ekogha n’aura finalement confirmé qu’une seule chose : le flou était, déjà à l’époque, sa méthode. Aujourd’hui encore, il demeure son refuge.



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