Jugement de Mohamed Ali Saliou : Suite et pas fin
Par Stive Roméo Makanga
Il est des affaires qui, malgré le temps qui passe, persistent à hanter la conscience collective. Elles ressurgissent toujours là où l’on croyait avoir gagné l’illusion, si confortable, que le pays s’était enfin défait de ses vieux démons administratifs : l’arbitraire, l’impunité, et ce mélange vénéneux d’amateurisme bureaucratique et d’ambitions personnelles mal dissimulées. Le dossier des maisons détruites derrière le stade d’Angondjé appartient à cette catégorie. Une affaire dont le nom de Mohamed Ali Saliou, ancien directeur général du Conseil National de l’Eau et de l’Électricité (CNEE), constitue désormais la clé de voûte (ou le maillon manquant) d’une chaîne de responsabilités brisée.
Ce que réclament les victimes depuis des années relève de l’évidence la plus élémentaire dans un État qui se prétend de droit : la justice. Rien de plus. Il n’empêche : leurs demandes s’égarent encore dans les labyrinthes d’une procédure étouffée, à l’image de ces maisons brutalement réduites en gravats, un matin, par les engins du CNEE. L’argument avancé alors par l’administration était simple, presque trop simple pour être honnête : les familles auraient occupé illégalement des parcelles appartenant au Conseil. Mais lorsque l’affaire a franchi les portes du tribunal, le vernis s’est immédiatement fissuré. Les titres brandis par le CNEE se sont révélés aussi solides qu’un château de sable ; des documents « officiels » dont le magistrat a rapidement perçu la supercherie. Pire : aucune décision de justice n’autorisait ces démolitions.
L’on aurait pu croire qu’un tel scandale administratif déclencherait une réponse institutionnelle rapide. Mais au parquet, tout s’est figé. Les auditions, reportées. Les responsabilités, diluées. Les victimes, renvoyées à leur solitude. Et, au cœur des rumeurs les plus insistantes, un nom revenait avec régularité : celui de Mohamed Ali Saliou, membre influent de la tristement célèbre « Young team » dont le récent procès n’a pas fini d’écœurer.
Plusieurs sources affirment qu’il (Mohamed Ali Saliou) aurait agi directement depuis les couloirs du Palais présidentiel pour neutraliser toute avancée du dossier. Pourquoi un tel empressement à étouffer l’affaire ? Les révélations apparues depuis jettent une lumière crue sur un système de prédation foncière à peine déguisé : l’ancien DG du CNEE aurait nourri l’ambition de récupérer la parcelle pour y faire ériger un bâtiment destiné… à être loué au CNEE lui-même. Le fonctionnaire-mandarin devenant ainsi bailleur de l’État qu’il servait. Dans beaucoup de pays, cela s’appelle un conflit d’intérêts ; ici, cela a longtemps eu le goût amer du quotidien. « Mohamed Ali Saliou se cachait derrière le CNEE. Il voulait prendre les terrains des gens et face au refus des populations, il a trouvé cette alternative: faire détruire les maisons des gens » confie un compatriote.
Les maisons, elles, ont été balayées. Les familles, laissées dans le désarroi. Les indemnisations, jamais versées. Et la procédure judiciaire, suspendue dans un entre-deux absurde : ni classée, ni poursuivie. Comme un symbole du Gabon ancien, celui où la force des engins l’emportait sur la force du droit.
Il a fallu attendre le dernier Conseil des ministres pour que tombe l’un des aveux les plus éclatants de cette farce administrative : la dissolution pure et simple du CNEE. Le siège, promis à grand renfort de communiqués, n’a jamais été construit. Le projet, présenté comme stratégique, a disparu dans un brouillard comptable que personne ne s’est donné la peine d’éclaircir. Le CNEE s’efface donc sans laisser de trace, si ce n’est celle de ses abus. Une disparition qui ressemble moins à une réforme qu’à une fuite déguisée.
Aujourd’hui, alors que le nom de Mohamed Ali Saliou revient devant la justice, l’affaire ne saurait être réduite au seul destin d’un ancien haut responsable épinglé. Il reste une question centrale, une question que nul artifice procédural ne pourra éluder : que fait-on des victimes ? Que fait-on de ces familles dont les maisons ont été rasées sur la base de faux documents, sans qu’aucune autorité n’ait jamais pris la peine de réparer ?
À l’heure où le président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, affirme vouloir restaurer l’État et rebâtir la confiance nationale, ce dossier constitue un test grandeur nature. Un moment de vérité. Le chef de l’État ne peut ignorer plus longtemps les appels de ces compatriotes spoliés, laissés pour compte d’une administration désormais dissoute, mais dont les humiliations restent bien vivantes.
Dans l’affaire des maisons d’Angondjé, la justice a certes repris son cours avec le jugement de Mohamed Ali Saliou. Mais rien n’est réglé. Car tant que les victimes n’auront pas été indemnisées, tant que les responsabilités politiques et administratives n’auront pas été clairement établies, l’affaire restera suspendue, un rappel cinglant que, même dissoutes, les institutions laissent parfois derrière elles des ruines bien plus lourdes que celles qu’elles ont détruites.
Une suite, donc. Mais certainement pas la fin.



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