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Affaire Ngoulou et consorts : un verdict pour solder une République souillée 

Par Stive Roméo Makanga

Il y a des verdicts qui ne referment pas une affaire : ils referment une époque. Celui rendu ce lundi par la Cour criminelle spécialisée, dans le dossier tentaculaire impliquant Ian Ghislain Ngoulou, Mohamed Ali Saliou, Abdul Oceni Ossa et plusieurs autres figures du cercle rapproché de l’ancien pouvoir, appartient à cette catégorie. Non pas parce qu’il épuise le sujet (la République aura encore longtemps à sonder les abysses de sa propre dérive) mais parce qu’il donne enfin une forme juridico-politique à ce que l’opinion pressentait : le système n’était pas une rumeur ; il était un mode de gouvernement.

Derrière la froideur apparente des peines prononcées, c’est un paysage moral, économique et institutionnel qui se dévoile : celui d’un État transformé en open bar pour initiés, où l’autorité publique servait moins à gouverner qu’à prélever.

Premier enseignement : Steeve Nzegho Dieko est déclaré non coupable de blanchiment d’argent. La Cour lève dans la foulée sa résidence surveillée ainsi que le gel de ses avoirs. L’ancien directeur de cabinet civil du Président de la République, devenu malgré lui l’emblème d’une époque trouble, sort de la procédure juridiquement blanchi, même si l’on sait que, dans ce pays, la réhabilitation morale suit rarement la même célérité que la réhabilitation juridique.

Autre figure du dossier, Gisèle Mombo, condamnée à 26 mois de prison assortis d’une amende de 5 millions de francs CFA. Une peine relativement contenue, un mandat de dépôt levé, et l’impression diffuse que, dans la grande mécanique du pillage, certains maillons étaient plus aisément sacrifiables que d’autres.

La colonne vertébrale du système : Ngoulou, Saliou, Oceni

Le cœur du verdict se concentre cependant sur le trio qui, selon le Ministère public, formait la colonne opérationnelle d’un dispositif de prédation généralisé. Trois hommes, trois fonctions, trois peines identiques : 15 ans de prison, dont 5 avec sursis, et 10 millions d’amende.

– Ian Ghislain Ngoulou, le Fouquet moderne du pouvoir déchu, gestionnaire de flux clandestins, convoyeur de valises et ordonnateur officieux d’un appareil financier parallèle ;

– Mohamed Ali Saliou, présenté à la barre comme le bénéficiaire effronté d’un système qu’il considérait comme une simple extension de son patrimoine personnel ;

– Abdul Oceni Ossa, prête-nom attitré, relais secondaire mais indispensable dans l’orchestration du siphonnage.

Trois trajectoires convergentes, une même logique : confondre la République avec leurs affaires privées.

La Cour y répond par une peine sévère, lourde, dont la portée politique dépasse largement les individus concernés.

Dans l’orbite du système, les sanctions se déclinent en nuances, comme les strates d’un organigramme informel :

– Jessye Ella Ekogha, ancien porte-parole présidentiel, écope de 10 ans de prison, dont 7 avec sursis, 10 millions d’amende, avec mandat de dépôt exécuté.

– Kim Oun : 5 ans de prison, 50 millions d’amende, mandat de dépôt.

– Gabin Otha : 3 ans de prison, dont 1 avec sursis, 5 millions d’amende, mandat de dépôt.

– Jordan Camuset : 3 ans de prison avec sursis, 5 millions d’amende, levée de la résidence surveillée.

– Cyriaque Mvourandjami : 26 mois de prison, amende de 5 millions, mandats et gels levés.

À travers eux, la Cour envoie un message clair : dans un système criminel, il n’y a pas de petites mains, seulement des degrés d’implication.

Mais c’est dans le volet civil que se lit le mieux la mesure du gouffre creusé dans les finances publiques. La République présente sa facture, et elle est vertigineuse :

– Abdul Oceni : 6 milliards FCFA

– Mohamed Ali Saliou : 5,2 milliards

– Ian Ghislain Ngoulou : 1,2 milliard

– Kim Oun : 1,041 milliard

– Gabin Otha : 110 millions

– Cyriaque Mvourandjami : 25 millions

– Jordan Camuset : 10 millions

– Jessye Ella Ekogha : 295 000 francs, une goutte d’eau, presque ironique, dans cet océan de détournements.

À ces montants s’ajoutent les confiscations des comptes gelés, biens mobiliers et immobiliers, dans une tentative de reconstituer ce qui peut l’être encore du patrimoine public évaporé.

Avec ces condamnations, la Cour judiciaire met un point d’arrêt à une affaire emblématique. Mais un point d’arrêt ne fait pas une conclusion. Car si le système a été jugé, a-t-il été démantelé ? Rien n’est moins sûr.

Le verdict donne raison à ceux qui affirment que la République, durant des années, a été administrée comme une entreprise familiale. Mais il laisse ouverte la question essentielle : combien de temps faut-il pour reconstruire un État que l’on a méthodiquement vidé de sa substance ?

Le jugement tombe.

La page, elle, n’est pas tournée.

Et dans l’esprit du public comme dans les couloirs de l’administration, une interrogation persiste, implacable, inflexible, presque accusatrice : « Est-ce que vous réalisez ça ? »

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