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Gabon/Justice: Comble de ridicule, Elisabeth Opiangah interdite de quitter le territoire national

Par Joseph Mundruma

Au Gabon, la justice a toujours eu un sens aigu du spectacle. Mais avec le dossier Opiangah, elle semble avoir franchi un palier, explorant les profondeurs d’une créativité procédurale qui ferait pâlir d’envie les scénaristes de séries judiciaires américaines. L’interdiction de quitter le territoire imposée à Elisabeth Opiangah, pourtant présentée comme victime supposée dans une affaire aux contours encore plus flous que ses fondements juridiques, illustre à la perfection l’art local de se prendre les pieds dans le tapis procédural. Une performance qui, si elle n’était pas si inquiétante, pourrait presque être saluée pour son audace.

Car enfin, ce qui transparaît de l’entretien accordé la veille à Gabon Media Time par Me Paulette Oyane Ondo relève de l’absurde pur. Depuis le 3 décembre 2024, la jeune femme est interdite de sortie du territoire. Pourquoi ? Mystère opaque. Une première dans les annales judiciaires du pays, jure son avocate. Et l’on serait tenté de la croire : en trois décennies de barreaux, elle pensait avoir « tout vu ». Il faut croire que non. Le génie bureaucratico-répressif gabonais a encore des réserves.

La question, désormais, ne scandalise plus seulement les juristes : depuis quand une victime est-elle traitée comme une bombe à retardement institutionnelle ? Depuis quand une affaire de mœurs, aussi sensible soit-elle, transforme-t-elle une jeune femme en menace pour la sûreté nationale ? La disproportion n’est même plus outrancière : elle est grotesque.

On croyait naïvement que les victimes étaient là pour être protégées, peut-être même entendues. Erreur. Dans le Gabon de 2024, elles peuvent aussi être mises au ban, privées de déplacements et transformées en suspects imaginaires d’une procédure qui se décompose un peu plus chaque jour.

Le 20 novembre 2024, Elisabeth Opiangah est interpellée lors d’une perquisition, puis placée cinq jours en garde à vue. Cinq jours. Sans avocats. Sans droits. Sans cohérence. On lui aurait même demandé de réciter la version idéale d’un scénario écrit ailleurs : accuser son père. La justice gabonaise, désormais, n’instruit plus : elle met en scène.

À sa sortie, non seulement elle récuse toutes les accusations, mais elle porte plainte pour diffamation. Une plainte dont personne ne parle, comme si elle avait été confiée à un aspirateur administratif dont le sac serait percé.

Mais l’incompréhensible vire à l’irrationnel lorsque l’on découvre que l’action publique aurait été déclenchée le 20 novembre… alors que la plainte fondatrice de l’affaire n’aurait été déposée que le 25. Cinq jours dans le vide juridique. Cinq jours où l’État s’octroie la liberté d’agir sans la moindre base légale. On atteint ici les frontières extérieures de la légèreté institutionnelle.

Le cas d’Hervé Patrick Opiangah, père de la jeune femme, ajoute une dimension presque caricaturale à cette affaire bancale. Fermeture administrative de ses entreprises dès le 21 novembre. Comptes gelés. Avoirs neutralisés. Le tout sans décision judiciaire notifiée. Le rapport avec une enquête de mœurs ? Aucun. Mais au royaume des dérives, tout est permis.

La perquisition nocturne du 20 novembre ressemble davantage à une expédition punitive qu’à une opération judiciaire. Éléments encagoulés, unités de troisième catégorie normalement réservées à la lutte contre le grand banditisme… pour fouiller le domicile d’une famille gabonaise soupçonnée, rappelons-le, d’une affaire de mœurs. On a connu plus proportionné.

Et que dire des biens saisis ? Argent liquide, devises, montres, bijoux, téléviseurs… Une liste digne d’un cambriolage soigneusement exécuté plutôt que d’une opération judiciaire régulière. Le plus inquiétant ? Ces biens seraient aujourd’hui introuvables. Le magistrat instructeur dit ne jamais les avoir vus. Le procureur, lui, peine à les restituer. Manière élégante de dire : « On ne sait plus où ils sont. »

Une justice qui perd des téléviseurs, des devises et des montres de collection : voilà une originalité dont on se serait volontiers passé.

Une famille traitée comme un cartel

À mesure que les irrégularités s’empilent, une question émerge, brutale et simple : Pourquoi cet acharnement ?
Pourquoi cette famille gabonaise est-elle traitée comme une menace pour l’État ? L’interrogation reste posée.

La défense s’interroge. Le pays observe. Et la justice, elle, s’enfonce.

À force de provocations institutionnelles et de décisions juridiquement acrobatiques, l’affaire a quitté le terrain national. Les avocats d’Hervé Patrick Opiangah ont saisi la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Normal : lorsque l’on ferme les yeux à domicile, il faut bien aller se plaindre chez les voisins.

La justice gabonaise joue ici son crédit, celui de la Nation, et même son honneur. Mais à vouloir défendre l’indéfendable, maintenir une procédure défaillante à bout de bras et multiplier les décisions absurdes, elle risque surtout d’entraîner le pays dans un ridicule diplomatique dont il sera difficile de se relever.

Le Gabon ne méritait pas cela. La justice non plus. Mais manifestement, certaines pratiques ont la vie dure. Plus dure, même, que les droits fondamentaux qu’elles piétinent.

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