Gabon/Santé : Quand le patron du SAMU Social invente un nouveau variant et se fait sèchement rappeler à l’ordre
Par Stive Roméo Makanga
Il y a dans l’affaire du prétendu « nouveau variant du COVID au Gabon » un parfum de déjà-vu, une réminiscence d’un passé récent où les annonces sanitaires intempestives se disputaient la vedette avec les décisions scientifiques, au risque de transformer la gestion de crise en théâtre d’ombres. Cette fois, l’auteur du trouble n’est autre que le Dr Wenceslas Yaba, patron du SAMU Social gabonais et, ce qui ne gâche rien, Conseiller spécial du président de la République. Un statut suffisamment prestigieux pour qu’une vidéo, mal calibrée, puisse instantanément provoquer la panique digitale, mais manifestement pas assez pour lui conférer les compétences institutionnelles d’un ministre de la Santé.
Car c’est bien là que réside le nœud du problème : un médecin qui n’a ni l’autorité, ni la mission, encore moins le mandat, pour sonner l’alarme nationale, et qui choisit pourtant de le faire, caméra frontale, sans même jeter un regard prudent vers ceux qui, dans la hiérarchie, sont précisément chargés de parler en pareil cas. Résultat : un emballement médiatique, une montée de fièvre virtuelle, et un ministère de la Santé obligé de jouer les pompiers pour éteindre un incendie qu’il n’a jamais allumé.
Dans un communiqué largement diffusé sur les réseaux sociaux (et dont notre rédaction a obtenu copie) le ministère de la Santé n’a pas tergiversé. Le message, ferme mais rassurant, rectifie point par point les déclarations du Dr Yaba, presque comme on corrige les élucubrations d’un élève distrait qui aurait confondu exercice d’école et annonce nationale. Le ministère, visiblement agacé par cette initiative solitaire, rappelle le principe fondamental : dans une République organisée, la communication sanitaire relève de l’État, pas des officines individuelles, fussent-elles humanitaires ou proches du Palais.
Et pour calmer les inquiétudes, les chiffres ont été livrés sans fard. Entre janvier et novembre 2025, le système national de surveillance a enregistré 45 594 cas suspects de grippe. Sur un échantillon représentatif de 401 prélèvements, les analyses révèlent :
- 45 cas positifs à l’Influenza (grippe saisonnière) ;
- 17 cas positifs au SARS-CoV-2, le virus de la Covid-19.
Rien qui ne justifie, de près ou de loin, l’excitation d’un samedi soir sur TikTok.
« À ce jour, la Covid-19 présente un caractère endémique dans notre pays et ne constitue pas une urgence de santé publique », précise le communiqué, avant de recommander calmement les gestes de prévention habituels : port du masque en cas de symptômes, lavage régulier des mains, prudence élémentaire. Autrement dit : circulez, il n’y a pas de variant ici.
En clair, il n’y avait strictement aucune matière à s’inquiéter sur la situation épidémiologique du pays. Ce qui rend d’autant plus troublante la prise de parole du Dr Yaba. Car une question demeure, lancinante : pourquoi un médecin, pourtant intégré dans l’architecture étatique, s’est-il lancé dans une opération de communication aussi anxiogène, sans se référer ni au ministère de la Santé, ni aux spécialistes de la surveillance épidémiologique ?
Est-ce une méconnaissance des procédures ? Une volonté de visibilité personnelle ? Une confusion entre missions humanitaires et mandat institutionnel ? Ou simplement une erreur d’appréciation, comme on en commet parfois lorsque l’on confond l’urgence sociale réelle avec l’urgence sanitaire, qui relève exclusivement des autorités compétentes ?
L’épisode interroge, et pas qu’un peu, sur la compréhension qu’ont certains acteurs publics de leurs prérogatives.
Car une telle sortie ne serait qu’une maladresse isolée si elle ne touchait pas à un domaine particulier : la santé publique, un champ où les mots pèsent plus lourds que les actes. Dans un pays où le souvenir des confinements, des rumeurs, des peurs et des fractures sociales liées au COVID-19 reste vivace, la diffusion d’informations non vérifiées fragilise la confiance déjà fragile entre la population et les institutions.
La conséquence immédiate est bien connue :
- propagation de rumeurs incontrôlées ;
- regain de méfiance envers les autorités ;
- crispation inutile face à une situation maîtrisée ;
- perte d’efficacité des messages officiels, noyés dans le vacarme de la désinformation.
À l’heure où les réseaux sociaux transforment la moindre vidéo en brèche potentielle dans l’édifice institutionnel, chaque prise de parole hors cadre devient un risque national. La crise sanitaire mondiale aurait dû nous l’apprendre définitivement.
Au-delà du cas Yaba, cette affaire démontre bien l’incapacité de certains responsables à respecter la chaîne de commande et les protocoles de communication, un symptôme déjà observé lors du procès de la “Young Team”, où l’on avait vu à quel point l’improvisation pouvait devenir un mode de gouvernance.
Il serait peut-être temps de rappeler que la santé publique ne souffre ni l’improvisation, ni les effets de communication, et que le devoir de responsabilité prime sur l’envie individuelle d’apparaître.
L’incident du « nouveau variant » n’est pas seulement une erreur de communication ; il constitue un rappel salutaire de l’importance d’une information sanitaire rigoureuse, hiérarchisée et maîtrisée. À l’heure où la confiance entre gouvernants et gouvernés est un capital fragile, la République ne peut s’offrir le luxe de laisser proliférer des annonces approximatives dans un domaine aussi sensible.
Il appartient désormais aux institutions de resserrer les rangs, de renforcer la formation des acteurs publics et, surtout, de rappeler que seul le ministère de la Santé est habilité à informer sur la situation épidémiologique du pays.
Car la santé publique, elle, ne tolère jamais les improvisations, ni les messagers autoproclamés.



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