Yann Koubdjé, John Marcos Ankely, la « Young Team » et l’argent qui s’évanouit : où commence la responsabilité, où s’arrête la vérité ?
Par Agnès Limori
On a connu dans notre continent des procès qui, plus que de juger, disent (souvent sans le vouloir) l’état d’un pays. Le récent procès tenu à Libreville et qui a mis en scène la « Young Team », Sylvia Bongo et Noureddin Bongo Valentin, entre dans cette catégorie : spectacle judiciaire d’un côté, révélations publiques et interrogations politiques de l’autre. Parmi les séquences qui ont retenu l’attention figure le rôle attribué à Yann Koubdjé, présenté par plusieurs témoins comme l’un des rouages essentiels des décaissements massifs opérés au cours des années récentes.
C’est d’ailleurs dans ce climat de forte exposition médiatico-judiciaire que Yann Koubdjé a été officiellement démis de ses fonctions à la Présidence de la République lors du tout dernier Conseil des ministres. Un geste politique lourd de sens. Mais cette éviction, si elle marque la fin d’un chapitre pour l’intéressé, ouvre une question autrement plus vaste : qu’en est-il de toutes les autres personnes (directeurs, cadres, vérificateurs, agents de l’État) qui ont pris part, de près ou de loin, aux opérations d’emprunts, aux chaînes de validation, aux engagements financiers et aux décaissements aujourd’hui mis en cause ? Autrement dit, la responsabilité s’arrête-t-elle à un nom, ou faut-il regarder plus loin, vers l’architecture entière d’un système financier permissif qui a rendu ces dérives possibles ?
Dire que l’on a entendu « des aveux par ricochet » serait excessif ; on a plutôt assisté, devant la cour, à des témoignages qui jettent une lumière crue sur les mécanismes de distribution d’argent public transformé en liquidités privées. Les vidéos et reportages mis en ligne (des extraits d’audiences jusqu’aux analyses des médias) rendent compte d’un processus : des demandes qui arrivent au sommet, des ordres qui redescendent, et des agents qui, au nom de l’exécution, signent et valident des décaissements. C’est dans ce maillage-là que le nom de Yann Koubdjé revient, associé (selon plusieurs éléments présentés à la barre) à la facilitation de sorties de fonds.
Il ne s’agit pas ici de faire de la littérature judiciaire à bon marché. Le tribunal a aussi entendu des éléments chiffrés : la justice gabonaise a requis et obtenu des montants colossaux (des milliards, des confiscations, des condamnations prononcées) qui donnent à l’affaire un retentissement qui dépasse la sphère intime des intérêts d’une famille politique.
Des titres internationaux et locaux ont parlé de sommes globales à recouvrer atteignant plusieurs milliers de milliards de francs CFA. La portée financière de ces affaires est donc réelle et saisissante.
C’est précisément ici que la question de l’emprunt surgit, et avec elle une autre figure : John Marcos Ankely. Des éléments publics donnent à voir un homme de l’État, dont la carrière est ancrée dans l’audit et le contrôle des finances publiques, un vérificateur et un gestionnaire que l’on dit familier des opérations de créances et des bilans. Son nom apparaît en toute logique lorsqu’on tente de reconstituer le parcours de certains flux financiers.
On lit, dans plusieurs colonnes et sur plusieurs plateaux, que des emprunts et des opérations de dette ont alimenté (directement ou indirectement) le grand panier d’où sont sorties des sommes aujourd’hui disputées. Certains commentateurs et plusieurs documents judiciaires évoquent des opérations de grande ampleur, des levées sur les marchés et des restructurations.
Alors : où est passé l’argent ? C’est la question qui vibre derrière chaque rapport, chaque témoignage et chaque titre sensationnel. C’est aussi la question que la démocratie, quand elle fonctionne, doit se donner les moyens de résoudre, par la traçabilité des fonds, par la transparence des marchés, et par l’indépendance d’institutions capables de suivre la piste du flux monétaire jusqu’à sa destination finale.
Le devoir de la presse, dans des moments comme celui-ci, n’est pas de jouer au procureur de pacotille ni au défenseur automatique. Il est de documenter, d’exiger les pièces, de rappeler que la présomption de vérité (et la vérité tout court) ne se décrète pas. Aux juges de trancher, aux enquêteurs de fouiller, et aux citoyens de veiller. Mais il revient aussi au journaliste d’interroger non seulement « qui a signé », mais « comment les mécanismes ont été rendus possibles ». Car la corruption, lorsqu’elle prospère, n’a pas seulement des visages ; elle a des systèmes. Et c’est à ces systèmes que la République doit s’attaquer.
En finir avec l’opacité n’est pas un geste symbolique : c’est un acte de salubrité publique. Tant que subsisteront des zones d’ombre — des emprunts mal documentés, des décaissements mal expliqués, des noms qui reviennent sans que l’on montre la chaîne complète des preuves, la suspicion, qui est déjà un poison, continuera d’alimenter la défiance. Le procès de la « Young Team » a jeté des lampes sur ce qui pourrait être un trésor de malversations ; il reste à les braquer, maintenant, sur les comptes, les contrats et les contrats de prêt. Sans cela, la sentence sera incomplète, et l’argent restera, peut-être, une énigme.



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