Interview exclusive
Par Stive Roméo Makanga
Le chef de l’Etat togolais, Faure Essozimna Gnassingbé a effectué fin janvier dernier, une visite de travail de 48 heures à Libreville. Au cours de son séjour, avec son hôte gabonais, le président Ali Bongo Ondimba, il a procédé à l’inauguration de la première usine de panneaux en bois d’Afrique centrale, à la Zone économique spéciale de Nkok. Les deux responsables ont ensuite effectué une série d’installations consenties sur le site du Port minéralier d’Owendo. Dans les capitales Lomé et Libreville, la visite du président Gnassingbé à son homologue ne cesse de susciter des interrogations. Prosper Akpovi, patron du magazine panafricain Grogne d’Afrique, Président Directeur Général du groupe APROCOM, consultant international auprès des autorités de Libreville depuis près de 10 ans livre son analyse. Interview !
Prosper Akpovi, vous qui connaissez bien le Togo et le Gabon, deux pays dans lesquels vous êtes régulièrement, comprenez-vous les interrogations suscitées par la visite à Libreville du président togolais Faure Gnassingbé ?
Je tiens d’abord à vous remercier pour l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer sur un point aussi important de l’actualité. Je dois dire que ces dernières années, les deux chefs d’Etat togolais Faure Gnassingbé et gabonais Ali Bongo Ondimba ont beaucoup échangé. Leurs relations ont beaucoup donc évolué. En 2019 par exemple, Faure Gnassingbé était chez son homologue en mai, en juin et août par exemple. Quant à cette dernière visite qui fait parler dans le monde politique et dans les médias, pour Faure Gnassingbé, c’est déjà le deuxième séjour après celui d’août 2022. Or, entre temps, il faut le souligner, novembre 2022, le président gabonais était à Lomé. Trois rencontres en moins de six mois. Sur un continent où les rumeurs peuvent facilement devenir des clameurs, c’est normal qu’on s’interroge.
Certains médias parlent d’un agenda caché lors de ces voyages. Plusieurs thèses sont évoquées. Quel crédit peut-on accorder à ces développements ?
Permettez-moi de vous répondre assez directement. Ça fait près de 10 ans que je travaille à Libreville. A Lomé, ça fait près de 25 ans. Les deux pays ont toujours été proches. Nous avons des milliers de togolais qui travaillent au Gabon tandis que l’inverse même s’il est moins prononcé, se produit également. Déjà, entre les deux précédents présidents des deux pays, Omar Bongo Ondimba et Eyadema Gnassingbé, les relations étaient fortes. Parler aujourd’hui d’un agenda caché me paraît vouloir chercher des poux sur un crâne rasé.
Non, les visites entre les deux chefs d’Etat ne me paraissent cacher aucun but inavoué. Lors de ces visites le programme n’est pas caché. Il est dévoilé aux médias. Ils ont grandi ensemble et leurs pères respectifs se connaissaient bien. Ils entretenaient par-dessus tout, d’excellentes relations. On ne va tout de même pas interdire aux deux dirigeants de se voir, non ?
Et c’est bien. Car aujourd’hui encore, comme on peut le voir, ils continuent de se retrouver, autant que faire se peut, pour penser ensemble le développement de leurs pays.
A ce propos, on a vu Faure Gnassingbé aux côtés de son homologue gabonais inaugurer par exemple, une usine de panneaux en bois ou encore des installations dans le port de minéralier d’Owendo. Est-ce la preuve de ce que vous dites ?
Ce que nous devons comprendre, c’est que les partenaires du Gabon peuvent aussi être des partenaires du Togo et inversement. Les présidents Faure Gnassingbé et Ali Bongo Ondimba ont noué des relations fortes avec des partenaires différents. Il peut y avoir échange de carnets d’adresses dans la perspective d’enclencher le développement d’une nation comme de l’autre.
De plus, je ne trahirai pas un secret en vous disant que comme c’est le cas pour le Gabon, le Togo a lui aussi désormais une Zone industrielle, comme celle de Nkok, au Gabon. D’ailleurs le président Bongo a pu le constater lors de son déplacement fin novembre à Lomé. Il avait alors visité la Plateforme Industrielle d’Adétikopé (PIA). On ne peut pas imaginer mieux.
D’un côté comme de l’autre, il y a des expériences très profitables à partager. La coopération sud-sud s’illustre bien ici avec les relations entre les deux pays. C’est simple.
Monsieur Akpovi, ne pensez-vous pas malgré tout que les excursions de Faure Essozimna Gnassingbé au Gabon soient exagérément fréquentes ?
Je vais me répéter là ! Désolé, je n’ai pas la même lecture que vous.
Le Togo et le Gabon s’apprécient et ont noué des coopérations assez fortes. Elles sont formalisées à travers la signature de plusieurs accords de coopération bilatérale, d’une part ; et par des échanges réguliers sur les questions de politique internationale au sein des organismes multilatéraux d’autre part. Ce sont des éléments assez probants.
Très tôt déjà en 1975, il y a bientôt 50 ans, les deux pays ont eu à signer quatre accords. Ils portaient sur la libre circulation des personnes et des biens, à l’emploi et à l’établissement, sur la coopération commerciale, économique, sociale, culturelle, scientifique et technique et sur la création d’une grande commission mixte. Plusieurs autres accords s’en sont suivis entre les deux pays jusqu’alors dans les domaines culturel, scientifique, technique, du sport et du tourisme, des télécommunications et du transport aérien. En 2018, par exemple, un mémorandum d’entente sur les consultations diplomatiques régulières entre les Ministères des Affaires Etrangères du Gabon et du Togo a été expressément entériné. Il y a eu également la suppression des visas et les détenteurs de passeports diplomatiques. Et j’en oublie l’accord passé entre les deux pays pour promouvoir la lutte contre la traite des enfants.
Mais tout comme le Gabon, le Togo aurait bien pu développer cette relation avec un autre pays. Des pays comme le Ghana, le Cameroun, le Niger, etc. Pourquoi selon vous, les deux chefs d’Etat se sont choisis l’un et l’autre plutôt que de choisir d’autres ?
Le Gabon et le Togo sont des pays frères qui ont su se construire en se basant chacun sur ses expériences respectives. De ma petite expérience en échangeant avec des dirigeants un peu partout et essentiellement en Afrique de l’ouest et en Afrique centrale, chaque chef d’Etat a sa stratégie et ses priorités. Si dans sa vision pour ses populations, le président Gnassingbé trouve qu’il peut trouver gain de cause en resserrant plus encore les liens avec le Gabon, qui suis-je pour m’y opposer ; surtout que cette relation fait tomber de bonnes nouvelles ? Inversement, du côté du Gabon, qui suis-je pour le reprocher au président Bongo ?
Ecoutez, outre les visites officielles de haut niveau, les deux peuples entretiennent des relations consulaires fréquentes. S’il n’y avait rien de constructif, il y a longtemps que ce serait terminé. « Le Togo et le Gabon ont une même vision des questions de développement », disait à juste titre un média togolais proche du pouvoir de Lomé II. Suivons de près.