Propos recueillis par Stive Roméo Makanga
Deux fois bâtonnier, Me Justin Taty est accusé de tentative de scission du Barreau du Gabon par Me Raymond Obame Sima, élu le 6 janvier dernier à la tête du conseil de l’ordre. Dans une requête au Conseil d’État, Me Taty et de nombreux avocats souhaitent obtenir de l’institution l’annulation du scrutin, estimant que plusieurs écueils l’ont émaillé. Il nous en livre la teneur, dans cet entretien exclusif.
Kongossanews : Au-delà de ce qui a été lu dans la presse nationale et internationale, que peut-on concrètement retenir de cette crise au sein du barreau du Gabon ?
Cette crise, si vous voulez, revêt deux caractères. L’un, il s’agit de l’inobservation des règles déontologiques. Si nous nous battons aujourd’hui, c’est parce qu’au niveau du barreau, les jeunes avocats qui le représentent ne tiennent pas compte des règles déontologiques.
L’autre, il s’agit de l’organisation de l’élection qui a été faite en violation de la loi, parce que d’une part, l’ancien Bâtonnier n’avait pas respecté les dispositions relatives à la convocation de cette Assemblée générale élective.
Et aujourd’hui, toutes les contestations qui ont été portées devant le Conseil d’État concernent principalement cette situation. À la suite de l’élection du 6 janvier, une élection qui a été truffée de malversations, parce que dans cette affaire, l’ancien bâtonnier et l’équipe sortante (ce sont les mêmes qui ont été reconduits), avaient pratiquement corrompu les jeunes stagiaires, qui étaient au nombre de 32.
Ils ont pris des garanties auprès de ces derniers pour obtenir leur élection. Et donc, il y a eu des contestations qui ont été élevées par la suite, et ces dernières sont pendantes devant le Conseil d’État et nous attendons effectivement le dénouement, pour que nous puissions avoir une solution définitive.
La décision est attendue pour aujourd’hui.
Oui, c’est aujourd’hui. Mais il reste cependant que la contestation principale que nous avons, c’est celle de l’élection de ce Bâtonnier, qui ne serait pas capable de représenter valablement les avocats. Que ce soit devant la Cour de cassation, ou devant la Cour constitutionnelle.
Et quelles en sont les raisons?
Parce qu’en fait, pour être éligible à la Cour de cassation, il faut avoir prêté serment. Or, le bâtonnier qui a été élu a à peine 10 ans de service. Et il n’a pas prêté serment devant la Cour de cassation. Ce qui fait qu’il ne peut pas plaider devant la Cour de cassation.
Et ce sont là des reproches qui lui sont faits, d’une part. D’autre part, ce même bâtonnier ne peut pas nous représenter devant la Cour constitutionnelle, parce qu’il faut avoir au moins 15 ans d’années de présence, d’exercice.
Ce sont toutes ces contestations qui ont été portées devant le Conseil d’État. Et nous attendons que ce dernier puisse trancher définitivement.
Qu’en est-il de votre suspension pour 6 mois, de la procédure qui a été lancée ?
S’agissant de ma suspension, ils ont allégué que j’ai envisagé une scission, que j’avais un projet de scission. Vous vous doutez bien que lorsqu’on parle de projet, il n’y a ici aucun élément objectif qui peut justifier un fait concret. Et puis, il n’y a pas eu de projet concrètement.
Ce qu’il s’est passé, c’est que deux anciens bâtonniers, Me Akumbu et moi, avons présidé une réunion au cours de laquelle 51 avocats étaient présents. C’est donc au cours des débats qui ont eu lieu que l’idée de la scission est venue. Il y a un des avocats qui participait au débat qui a dit : “écoutez, si le Conseil d’État ne rend pas une décision qui ne nous est pas favorable, nous ne pouvons pas continuer comme ça. C’est-à-dire d’une part récuser ceux qui administrent le barreau, et continuer de payer nos cotisations, d’autre part, alors que nous ne sommes pas d’accord.
Si c’est comme ça, il va falloir envisager une scission “. C’est comme cela que l’idée d’une scission a été énoncée. Autrement dit, il n’y a pas eu de projet de scission, jusqu’à preuve du contraire. Il y a eu simplement des échanges. Et puisque j’assurais le secrétariat de cette réunion, j’ai fait des rapports auprès de tous les avocats qui étaient présents. Justement, au cours des rencontres qui devaient encore avoir lieu, nous devions prendre des décisions.
Autrement dit, aucune décision n’avait été prise jusqu’à la date où ce bâtonnier qui a été élu a tenté de me convoquer.
Lorsqu’il m’adresse la convocation, il le fait sur la base d’une disposition. Il s’agit de l’article 91 de notre loi. Or, pour être convoqué sur la base de cette loi, il faut avoir commis un acte qui porte atteinte à l’honorabilité de notre profession, ou qui porte atteinte aux intérêts des justiciables. Et même si j’avais eu un projet de scission, est-ce que ce dernier portait atteinte à l’honorabilité de la profession ou aux intérêts des justiciables ?
Non, et c’est pour cette raison que lorsque j’ai reçu la convocation qui m’a été adressée par un huissier, j’ai d’abord rappelé à ce bâtonnier que déontologiquement le bâtonnier ne peut pas adresser une convocation à un avocat par voie d’huissier. C’est déjà une faute déontologique. C’est à la suite de ce rappel qu’il m’a adressé une nouvelle convocation.
Et là, je lui ai de nouveau rappelé que l’article 91 ne peut pas me concerner. Il concerne les personnes qui portent atteinte à l’honorabilité de la profession.
Vous savez, nous avons le cas d’un de nos confrères, qu’ils soutiennent d’ailleurs, qui a détourné près de 800 millions de francs CFA. Mais ce dernier n’a jamais été convoqué devant le barreau. Il n’a jamais été convoqué devant le Conseil de l’ordre, et c’est moi qu’on convoque, alors que je n’ai commis aucune faute?
Je lui ai répondu que si à la limite vous considérez que c’est une faute…disciplinaire, si tant est qu’on veuille le considérer comme tel, que dit la loi? Elle dit que le bâtonnier me convoque pour discuter avec moi. Et à la suite de cet échange, le bâtonnier peut juger de me traduire devant un conseil de discipline, s’il le faut ou non. Ce qu’il n’a pas fait.
Voici les malentendus qui sont nés. Et ces derniers naissent simplement du fait de la méconnaissance de nos jeunes confrères des lois qui régissent notre profession.
Dans quel état d’esprit êtes-vous, sachant que la décision du Conseil d’État tombera sous peu?
Je suis optimiste et j’espère simplement que le Conseil d’État rendra justice. Il faut relever que ce ne sera pas la première fois. Il y a eu de précédentes élections qui avaient été annulées pour violation de la loi. Comme on n’avait pas respecté les règles applicables lors d’une assemblée générale élective, le Conseil d’État avait annulé. Il y a une jurisprudence qui existe. Et j’espère vivement que le Conseil d’État appliquera cette jurisprudence en annulant cette élection qui, au départ a été organisée dans des conditions anarchiques parce qu’on n’a pas respecté les dispositions de la loi qui organise la profession.
Que se passera-t-il s’il se passait le contraire ?
Si le Conseil d’État rend une décision qui ne nous soit pas favorable, nous prendrons acte de la décision qui a été rendue. Et puis pour la suite nous verrons. Je ne peux pas préjuger de quoique ce soit. Il faut savoir que les décisions rendues par le Conseil d’État ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles sont définitives.
Que se passera-t-il si jamais la décision vous était favorable ?
Naturellement, l’actuel bâtonnier sera évincé de sa charge, y compris les membres du Conseil de l’ordre qui l’assistent. Et donc nous irons à une nouvelle élection. Ce qui serait une bonne chose pour le barreau. Cela nous permettra de choisir des candidats qui ont l’âge requis pour représenter valablement notre Barreau.
Un point nous intrigue, Me Taty. Il est reproché à l’actuel bâtonnier de ne pas avoir l’âge et l’expérience requis pour représenter valablement le barreau. Qu’est-ce qui explique que son dossier de candidature ait été validé malgré tous ces écueils ?
Tout vient de l’ancien bâtonnier avec qui il avait des attaches particulières. Lorsque les candidatures sont adressées au Conseil de l’ordre, c’est ce dernier qui arrête la liste des candidats. Et tout ceci est fait sur la base des dispositions qui régissent notre législation. Ils doivent s’assurer de ce que celui qui est candidat remplisse toutes les conditions qui sont requises, à savoir, qu’il a prêté serment devant la Cour de cassation, et qu’il est en mesure de représenter notre profession devant la Cour constitutionnelle.
Mais comme il s’agissait d’un arrangement qui avait déjà été fait entre le bâtonnier sortant et son protégé, ils ont tout fait pour le faire admettre. C’est ce qui conduit à tout ce remue-ménage.
Pour résumer cette situation, tout part de Monsieur Ntoutoume. C’est lui qui est à l’origine de tout ce désordre. S’il avait fait les choses dans les normes, en sélectionnant les candidats qui remplissent les critères requis, on n’en serait pas là. Il faut que les gens comprennent l’origine de cette crise. Le Conseil de l’ordre aurait dû écarter les candidatures de ceux qui étaient inéligibles.
Le journal Échos du Nord évoque une ingérence de deux membres du gouvernement dans cette affaire. À savoir, la garde des Sceaux et celle des Relations avec les institutions constitutionnelles. Mensonge ou vérité ?
Il ne s’agit là que d’une simple manipulation de l’opinion. Comment pouvez-vous imaginer que des membres du gouvernement puissent interférer dans les actes de la justice, donner des instructions aux magistrats ? Comme nous sommes dans une période préélectorale, ils utilisent des arguties pour salir les membres du gouvernement.