Par Stive Roméo Makanga
Le Barreau n’a plus d’organes de direction et ce, depuis l’annulation de l’élection du bâtonnier et des membres du Conseil de l’Ordre, tous élus à la faveur de l’assemblée générale du 06 janvier dernier. Intervenant sur la question lors de son interview parue dans le quotidien L’Union, Me Wenceslas Ella Andoume estime que le barreau serait désormais comme “un bateau sans gouvernail et sans capitaine”. De cette observation, l’homme en toge pose une problématique éloquente : Comment en est-on arrivé là ? Et explique que deux textes seraient la principale cause de cette situation.
“Deux textes sont à l’origine de
la crise actuelle : il s’agit des
articles 22 de la loi organique et
de l’article 64 du Règlement de
procédure précités. Les avocats
d’un même Ordre exercent dans
des conditions équitables sans
que certains tirent avantage
d’un statut. Or, ces deux
articles réservent une part du
contentieux aux avocats ayant
une ancienneté de dix ans et de
quinze ans et discriminent tous
les autres avocats.
Là où le bât blesse, c’est qu’il
s’agit d’une discrimination par
l’effet de la loi, créant ainsi de
super-avocats et des avocats de
seconde zone”, déclare Me Wenceslas Ella Andoume.
“Cette situation
cristallise la tension et travestit
le libre choix par le justiciable
de son Conseil. Les deux articles
rendent aussi contraignant l’accès
à la justice, car le justiciable est
obligé de choisir un Conseil qu’il
n’aurait pas souhaité ; le ministère
d’avocat étant obligatoire devant
la Cour de cassation”, renseigne l’homme en toge.
“Comment
comprendre que des avocats
ayant déjà postulé et plaidé
devant cette Cour ne puissent
plus le faire par l’effet d’une
disposition de loi dont l’utilité
reste à démontrer ?”, s’interroge-t-il.
Des peaux de bananes dressées sur le chemin des jeunes
“L’exigence de quinze années
d’ancienneté au grand tableau
posée par le règlement de
procédure est tout aussi
incompréhensible. La Cour
constitutionnelle est le garant
juridique de la Constitution
(Cf. Les grandes décisions de
la Cour constitutionnelle, note
sous Décision n°001/CC du 20
janvier 1999, p.142). Elle veille
au respect des droits et libertés
fondamentaux. Elle peut être
saisie par tout citoyen.
Le ministère d’avocat n’y étant pas
obligatoire, chaque citoyen peut
s’y présenter ou donner mandat
à tel autre.
Comment comprendre
l’interdiction faite à certains
citoyens (dont la profession est
de représenter) de se présenter
devant cette Cour parce qu’ils
ne totaliseraient pas quinze
années d’ancienneté au grand
tableau ? A la lumière de la
Déclaration universelle des droits
de l’Homme et du citoyen, de
la Charte africaine des droits
de l’Homme et des peuples, de
notre Constitution, ne s’agirait-il
pas là d’une discrimination de
certains citoyens fondée sur l’âge
(professionnel) ?
Pourtant , le règlement
de procédure de la Cour
constitutionnelle du 10
novembre 2006 ne contenait
pas d’article limitant l’exercice
de certains Conseils. De même,
la précédente Loi organique
régissant les juridictions de
l’ordre judiciaire ne contenait
pas d’article restreignant l’office
d’avocat devant la Cour de
cassation”, s’interroge à bien des égards Me Wenceslas Ella Andoume .
“Que s’est-il passé entre
2018 et 2019 ?
A l’analyse , le maintien
de ces deux articles dans
l’ordonnancement juridique
national est à rebours du
mouvement de lutte contre les
discriminations. En ce sens, le
Gabon vient d’adopter plusieurs
textes visant à éliminer les
discriminations. Aussi, consacrer
une discrimination entre avocats
dans l’exercice de leur profession
relève-t-il d’un autre temps”, indique-t-il.
“L’on se souviendra que la Constitution
transitoire du 28 mai 1990 (Art.
25) et la Constitution du 26 mars
1991 (dans sa version initiale
– Art. 31 al. 2) interdisaient
l’accès à la fonction de ministre
de la République respectivement
avant l’âge de trente ans et trente cinq ans. Le Gabon aurait-il un
problème avec sa Jeunesse ?,
” L’habituel défaut des hommes
est de ne pas prévoir l’orage
par beau temps “, expliquait
Machiavel (Le Prince, éd.
Flammarion, p.121)” rappelle-t-il.
Me Wenceslas Ella Andoume d’avis pour dépoussiérer l’administration du Barreau
“A l’évidence, le Législateur n’avait pas anticipé les conséquences des deux
articles qui cristalliseraient les
tensions au sein du Barreau et
dont la portée déborde l’exercice
de la profession d’avocat. A cet
égard, l’arrêt du Conseil d’Etat
du 20 avril rappelle la nécessité
de réformer les textes régissant
l’exercice de la profession d’avocat
en République gabonaise.
Urgemment, les deux articles qui
fracturent le Barreau du Gabon
doivent être abrogés”, suggère-t-il.
“La paix et la sérénité au sein du Barreau
du Gabon sont à ce prix. Pour y
parvenir, l’arbitrage du président
de la République, chef de l’Etat,
garant de toutes les institutions
et de la paix sociale, est sollicité”, estime-t-il l.
Me Wenceslas ELLA ANDOUME est Docteur en droit de l’Université de
Nancy 2, Prix de thèse de la Faculté,
Diplômé de l’Ecole régionale des avocats du Grand Est, avocat au Barreau
du Gabon.