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Au Gabon, la justice enfin au-dessus du pouvoir

Par Stive Roméo Makanga

Ce lundi 10 novembre 2025, dans une salle d’audience de Libreville, la République gabonaise a levé un voile longtemps resté fermé : celui d’un pouvoir familial transformé en système de prédation. Pour la première fois dans l’histoire du pays, une ancienne Première dame et son fils sont jugés (fût-ce par contumace) pour détournement de fonds publics, blanchiment, corruption et association de malfaiteurs. Un procès sans précédent, à la fois solennel et symbolique, qui dépasse la simple responsabilité pénale des accusés : il engage la refondation morale d’un État longtemps confisqué.

On a souvent reproché au Gabon son indulgence vis-à-vis de ses puissants, sa propension à l’oubli dès lors que la justice s’approchait trop près du palais. Cette fois, c’est l’inverse : la justice s’invite dans le palais. Et la scène a quelque chose d’inédit, presque irréel. La Première dame d’hier, Sylvia Bongo, décrite par les enquêteurs comme calculatrice et dominatrice, est désormais l’inculpée principale d’un dossier de plusieurs milliers de pages. Son fils, Noureddin, héritier autoproclamé d’un pouvoir héréditaire, incarne cette génération persuadée que la République n’était qu’une fiction commode au service de privilèges privés.

On dira sans doute que ce procès est politique. Mais dans un pays où la politique a si souvent remplacé le droit, le retour du droit paraît presque révolutionnaire. Le jugement par contumace n’est pas une invention du moment : il est prévu par les articles 312 et suivants du Code de procédure pénale. C’est la conséquence logique de la fuite. Les accusés avaient la possibilité de comparaître, ils ont choisi l’exil. Qu’ils ne s’étonnent donc pas que la justice, cette fois, avance sans eux. Suspendre la loi au bon vouloir de ceux qui s’y soustraient serait la plus grande des injustices.

Derrière les formules juridiques, c’est tout un système qui s’effondre : celui d’une économie parallèle où le Trésor public servait de coffre-fort familial, où la corruption se déclinait en sociétés-écrans et comptes offshore, et où la morale républicaine avait cédé la place à une monarchie de fait. Les années Bongo ont engendré des inégalités abyssales, un chômage endémique et une défiance civique durable. Ce procès, c’est la radiographie d’un État malade, le miroir d’une décennie de fractures et d’abus.

Mais ce n’est pas la vengeance qui s’exprime dans cette salle, c’est la loi. Et la nuance est essentielle. Juger Sylvia et Noureddin Bongo, ce n’est pas juger une famille, c’est juger une époque. Une époque où le pouvoir s’était affranchi du droit, où l’État servait d’écran à l’enrichissement personnel. Le ministère public ne plaide pas pour un régime, mais pour la République. Ce procès, dans sa gravité et sa méthode, consacre le retour du principe d’égalité devant la justice, ce principe que tant de Gabonais n’osaient plus invoquer sans ironie.

La République gabonaise s’offre aujourd’hui une rare occasion : celle de se prouver à elle-même qu’elle n’est plus captive. À condition que la justice demeure implacable dans les faits, et mesurée dans l’intention. Car un État se redresse par le droit, non par la revanche. Ce 10 novembre 2025 pourrait bien rester dans l’histoire comme le jour où le Gabon a cessé de trembler devant ses anciens maîtres pour se regarder enfin en face.

Ce procès n’est pas celui du passé, mais celui de la responsabilité. Il appartient désormais à la justice de dire le droit, et à la Nation de tourner la page, non dans l’oubli, mais dans la vérité et la dignité.

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