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Monnaies africaines : l’indépendance monétaire… sous-traitée à l’étranger

Par Stive Roméo Makanga

Il y a, dans le débat obsessionnel autour du franc CFA, un argument qui revient avec la régularité d’un métronome déréglé : « Notre monnaie est fabriquée en France ! » L’exclamation se veut indignée, presque révolutionnaire. À écouter certains activistes, on imaginerait presque des fonctionnaires de la Banque de France occupés, entre deux cafés, à imprimer des billets africains pour mieux perpétuer une domination postcoloniale.

Sauf que (et c’est là que l’argument s’effondre avec la grâce d’un château de cartes sous la mousson) la Banque de France n’imprime pas le franc CFA par lubie nostalgique. Elle le fait sur instruction formelle des banques centrales africaines concernées. Un détail, certes, mais un détail qui change absolument tout. Sans ordre d’impression de la BEAC ou de la BCEAO, pas un billet ne sortirait des imprimeries françaises.

Mais poursuivons, car l’affaire devient plus savoureuse encore.

Les contempteurs du CFA se plaisent à décrire la Zone franc comme une anomalie mondiale, un archaïsme postcolonial unique en son genre. Sauf qu’il suffit d’un simple détour par la cartographie monétaire du continent pour comprendre que l’externalisation de la fabrication de la monnaie est… la norme. Une dizaine de pays africains confient, sans le moindre frisson nationaliste, la production de leurs billets à des ateliers basés à Londres, Berlin ou même Washington.

Oui, les monnaies africaines font la navette Londres–Berlin–Washington

Commençons par les monnaies ci-dessous imprimées soit en Angleterre, soit ailleurs :

  • le shilling kényan imprimé par De La Rue (Royaume Uni), bien que le Kenya travaille aussi à imprimer sa monnaie localement avec le soutien de De La Rue.,
  • le cédi ghanéen (Imprimé en France),
  • le dollar namibien (Imprimé en France),
  • le nouveau kwacha zambien (Partiellement imprimé en France et en Allemagne),
  • le dalasi gambien (Royaume Uni),
  • le leone sierra-léonais (Royaume Uni).

Rien que cela. Les mêmes militants qui s’évanouissent à l’idée qu’un billet de 10 000 francs CFA soit imprimé à Chamalières oublient curieusement que le Ghana, champion autoproclamé du panafricanisme monétaire, importe ses billets d’une entreprise britannique fondée au XIXᵉ siècle.

Passons à l’Allemagne, où la firme Giesecke+Devrient fournit notamment :

  • le naira nigérian,
  • le birr éthiopien,
  • le shilling ougandais,
  • le dinar algérien (pour certaines séries),
  • le dinar libyen, avant la guerre civile.

Et puisque l’argumentaire anti-CFA aime souvent convoquer les États-Unis comme modèle de souveraineté économique, précisons que certaines séries du rand sud-africain et du dinar tunisien ont été imprimées aux États-Unis par Crane Currency.

Donc le problème, ce n’est pas que la monnaie soit fabriquée ailleurs. C’est que ce soit la France.

Voilà, au fond, l’impensé du débat. Car si l’externalisation de la production monétaire était réellement une atteinte à la souveraineté, cela ferait longtemps que Nairobi, Accra, Lusaka ou Abuja auraient proclamé l’urgence d’une fabrique nationale. Mais non : tout le monde continue de sous-traiter sans état d’âme, dans des usines étrangères ultra-sécurisées, parce que c’est moins coûteux, plus fiable et infiniment plus sûr.

Ce qui dérange, ce n’est donc pas la dépendance technique ( que tout le monde assume ) mais la charge symbolique que certains s’acharnent à projeter sur le lien historique entre l’Afrique francophone et la France.

Le débat serait passionnant s’il reposait sur des faits. Il est malheureusement saturé de slogans. On confond lieu d’impression et pouvoir monétaire, atelier industriel et domination impériale. On oublie surtout une évidence : une monnaie n’est souveraine que si la politique monétaire l’est. Or sur ce point, les banques centrales de la Zone franc ont, depuis des décennies, leur autonomie statutaire.

Qu’on critique le CFA, soit. Il en a besoin, comme toute architecture monétaire. Mais qu’on le fasse avec rigueur. Avec honnêteté. Avec un minimum d’informations vérifiées. Pas avec ces approximations qui transforment une réalité technique banale (l’impression externalisée des billets) en symbole politique frelaté.

Si l’indépendance monétaire se mesurait à l’adresse postale de l’imprimerie, l’Afrique serait depuis longtemps un continent de nations souveraines… et la Suisse, qui imprime aussi des devises étrangères, serait une puissance coloniale multilatérale.

En attendant, les billets africains continueront de voyager entre Chamalières, Londres, Munich et Boston. Et les débats, eux, continueront d’être imprimés dans l’émotion, plutôt que dans la raison.

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