Le procès du clan Bongo s’ouvre à Libreville : un tournant historique
Par Stive Roméo Makanga
En ce jour solennel, la capitale gabonaise accueille l’ouverture d’un procès aussi attendu que symbolique : celui de Sylvia Bongo Ondimba et de son fils Noureddin Bongo Valentin. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine du Gabon, un ancien premier cercle du pouvoir est ainsi mis en cause en pleine lumière, et ce n’est pas un simple fait divers judiciaire : c’est tout un modèle de gouvernance, hérité de décennies de domination, qui est mis en examen.
L’ampleur et la nature des accusations sont lourdes : Sylvia Bongo Ondimba est poursuivie pour « blanchiment de capitaux, recel, faux et usage de faux ». Quant à Noureddin Bongo Valentin, il est visé pour « détournement de fonds publics, blanchiment de capitaux et association de malfaiteurs ». Selon la presse gabonaise, le duo mère-fils aurait orchestré un système complexe reposant sur des marchés publics fictifs, des sociétés écrans et des comptes offshore, avec un montant de l’ordre de 300 milliards de francs CFA évoqué dans certains articles. Mais on imagine bien qu’il pourrait s’agir de beaucoup plus.
Le dossier met en exergue le rôle présumé de « faux et usage de faux », « corruption active », « non-respect des procédures de passation des marchés publics » et « association de malfaiteurs ». On est loin d’une simple maladresse de gestion : il s’agit d’accusations de vol organisé des ressources de la nation.
Après le coup d’État d’août 2023 qui a mis fin à 55 ans de règne de la famille Bongo, le pays est à la croisée des chemins. La tenue d’un procès sérieux, transparent et équitable peut être perçue comme un signal fort envoyé à l’intérieur comme à l’extérieur : au peuple gabonais, que l’impunité n’est plus le lot réservé des puissants ; aux partenaires internationaux, que Libreville a l’intention de renouer avec les standards de la gouvernance.
Au-delà de la symbolique, c’est l’argent de la nation qui est en jeu. Le Gabon, pays dont les ressources pétrolières et forestières ont longtemps été pillées, ne peut se permettre d’ignorer des dizaines voire des centaines de milliards de francs CFA supposément « évadés », « détournés » ou « planqués » dans des juridictions opaques.
Récupérer ces capitaux n’est pas seulement une question d’équité : c’est une question de survie économique et de justice sociale. Tant qu’une élite pourra détourner les richesses publiques sans sanction ni restitution, la fracture entre l’État et ses citoyens ne fera que se creuser.
La République gabonaise est engagée dans une phase de redéfinition. Ce procès servira de baromètre : sera-t-il un moment de rupture réelle ou un simple spectacle de transition ? Si la justice agit avec rigueur, impartialité et transparence, cela pourrait marquer l’entrée dans une ère nouvelle, où l’autorité publique coïncide enfin avec l’intérêt général. En revanche, si le procès tourne court ou souffre de vices de procédure, le risque est grand que la confiance s’effondre davantage. À ce jour, ce sont tous les gabonais qui ont foi en la crédibilité de leur justice, ce depuis que Brice Clotaire Oligui Nguema a pris les rênes du pays.
Le chemin ne sera pas simple. La défense des accusés pointe des irrégularités graves : absence de garantie de procès équitable, conditions de détention dénoncées, inculpation sans preuve selon eux. « Je n’ai jamais détourné un centime d’argent public », déclare Noureddin Bongo. Pourtant, les autorités suisse ont procédé il y a encore un mois seulement, au gèle des fonds douteux provenant d’un compte de Sylvia Bongo Ondimba. Le Gabon en a même été informé par un courrier officiel. Les faits parlent donc d’eux-mêmes.
En ouvrant ce procès, le Gabon assiste à un moment historique. Il ne s’agit pas seulement de juger un ancien pouvoir : il s’agit de juger un système, une mécanique d’État qui a permis à quelques-uns de prospérer tandis que la majorité luttait. Le véritable verdict ne viendra pas uniquement du jugement qui sera rendu, mais de son application : restitution des fonds, réforme de la justice, redéfinition de la gouvernance publique. Si le pays y parvient, alors ce procès aura posé une première pierre vers une nouvelle République.



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