Par Stive Roméo Makanga
La liberté de dire et d’informer devient-elle à ce point un fait équivoque chez nous ? C’est désormais la grande interrogation de nombreux patrons de presse, lesquels avaient pourtant espéré l’avènement d’une ère nouvelle, ce d’autant que l’actuel président de la Transition avait appelé de tous ses vœux la presse locale à ne “plus avoir peur”, et “d’écrire sans craintes”.
À l’évidence, non. Les douloureux épisodes du passé, liberticides et d’une cruauté inouïe, semblent avoir inopinément refait surface.
Depuis plusieurs jours, Dépêche 241, l’un des médias en ligne les plus réguliers et dont la critique, à la fois délicieuse et sagace, est absent de la world wide web. Pour combien de temps exactement ? Nul ne le sait, pas même Pharell Boukika, le patron du journal, et encore moins Yann Agamboue, le Rédacteur en chef.
La Haute Autorité de la Communication (HAC), auteure de cet état de fait, a laissé planer un immense doute : “Jusqu’à régularisation de votre situation administrative et juridique “.
À l’évidence, l’on pourrait croire que Dépêche 241 est à l’identique de tous ces “médias” illégaux qui asphyxient les populations d’informations indigestes et nauséabondes. Ces plateformes qui, tenues par des marchands de textes à l’appétit fortement aiguisé, n’ont pas fini de porter outrage au Bescherelle.
Les jeunes compatriotes, promoteurs du Groupe Dépêche, y voient plutôt une subtilité de langage de la HAC, estimant être détenteurs d’un agrément de commerce, un agrément technique délivré par le ministère de la communication, une autorisation de paraître délivrée par le Procureur de la République, en plus d’être à jour de ses charges fiscales et sociales.
Mieux, dans leur démarche de régularisation, Dépêches 241 a déposé auprès du secrétariat de la HAC, un dossier pour que lui soit délivrée l’autorisation de parution estampillée du sceau de l’institution.
QUE REPROCHE-T-ON À DÉPÊCHE 241?
“ Pour avoir fait un article de presse puis un reportage sur la sortie de Marie Madeleine Mborantsuo au terme de laquelle, elle a révélé avoir prié pendant 32 ans pour la sécurité des Gabonais. Une Sortie jugée indécente pour tout un Peuple, nous avons ce lundi 8 octobre fait l’objet d’une suspension de notre organe de presse Dépêches 241 dont je suis le directeur de Publication par la Haute Autorité de la Communication”, relate Pharelle Boukika, dans un document à nos soins expressément confié.
“Pour justifier cette suspension, la HAC s’est appuyée sur le motif fallacieux d’une prétendue régularisation de la situation administrative et juridique de l’entreprise au motif que nous n’avons pas l’autorisation de parution délivrée par leur institution”, ajoute-t-il.
La question que se posent désormais tous les directeurs de publication indignés par cette affaire, est celle de savoir si tous les médias en ligne qui écument le paysage médiatique gabonais ont une autorisation délivrée par la HAC. Évidement que non.
Dans ce cas, au nom de quoi diffusent-ils l’information ? La question à un milliard de francs CFA.
” Il est important de noter que la loi n°14/2013 portant réorganisation de la Haute Autorité de la Communication (HAC) qui institue en son article 32 l’obligation de posséder une autorisation de parution délivrée par la HAC est entrée en vigueur le 3 juillet 2023. Dépêches 241 a été créée en novembre 2021. La loi ne disposant que pour l’avenir, et n’ayant point d’effet rétroactif, cette nouvelle loi ne peut régir que les situations juridiques postérieures à son entrée en vigueur car les actes et faits juridiques passés antérieurement échappent à son emprise juridique et demeurent, par conséquent, sous le joug de la loi ancienne. C’est le principe de la non-rétroactivité de la loi”, dénonce Pharelle Boukika.
Le patron du groupe Dépêche 241 balaie d’un revers de la main le procès en irrégularité et en illégalité allégué par le gendarme des médias. Pour lui, l’institution a pris fait et cause pour Marie Madeleine Mborantsuho, ce d’autant qu’il dit avoir été traité de “criminel”, lors de son audition face aux conseillers membres.
ENCORE UNE AUTRE POUR ENFONCER LE CLOU
Alors que le contentieux sur l’affaire Mborantsuo n’est pas vidé, la Haute autorité de la communication a à nouveau convoqué Dépêches 241 ce jeudi 12 octobre pour une autre audition, cette fois-ci après une saisine du ministre Franck Nguema, suite au reportage sur le subvention allouées aux fédérations sportives.
De l’avis de Pharelle Boukika, tout “porte à croire que la HAC est bien décidée à faire fermer notre organe de presse”.
“Il convient de préciser, afin que nul n’ignore que pour répondre à l’audition relative à l’affaire Mborantsuo, nous avons été appelés le 29 septembre nuitamment à 23 heures pour être plus précis, par le conseiller en communication de la HAC pour répondre à une convocation le lendemain, quand la procédure voudrait que nous soyons saisis par écrit, au moyen d’un courrier précisant le jour, la date, la raison de la saisine et les griefs portés à notre encontre aux fins de permettre de préparer notre défense.
Nonobstant ce vice de forme manifeste, nous nous sommes tout de même présentés par respect pour l’institution à la convocation. Pendant l’audition et face à des conseillers membres visiblement acquis à la cause de l’ancienne présidente de la Cour Constitutionnelle, nous avons été quasiment pris à partie. Pour peu que nous nous défendions, nous avons été traités mon confrère et moi de jeunes journalistes effrontés et condescendant alors qu’en audition, c’est le principe du contradictoire qui prime”, relate notre confrère.
Et: “Plus grave, un des conseillers membres s’est même permis de nous traiter de criminels”.
Face à ce qu’il considère désormais comme un acharnement et une volonté de faire fermer son organe de presse, Pharelle Boukika s’interroge sur les lendemains de celui-ci. Qu’adviendra-t-il des compatriotes qui y officient? Et que dire des contrats avec des annonceurs et des partenaires?
Tous les efforts et autres sacrifices fournis par le jeune média ces deux dernières années pourraient être anéantis.
La HAC courirait-elle le risque de se rendre complice de la précarisation et de l’ostracisation des journalistes?
Que fait l’institution dirigée par Germain Ngoyo Moussavou? “Elle a fait le choix de suspendre pour des raisons fallacieuses une entreprise qui fait un travail d’utilité publique pour protéger des personnalités qui ont activement participé à l’embrigadement, à la déchéance, à la destruction et à la lacération du Gabon”, croit savoir Dépêche 241.
Une affaire que les patrons de presse estiment préoccupante.