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Or africain : la Chine, ce pilleur discret mais méthodique

Par Stive Roméo Makanga

Il y a dans le pillage une manière bruyante de procéder, celle des soudards, des milices, des rapines improvisées. Et il y a l’autre – plus froide, plus clinique – celle des ingénieurs planificateurs. La Chine, en Afrique, a choisi la seconde. Elle ne s’empare pas des ressources critiques à la manière des barons de guerre ; elle les rafle en cravate, à coups de contrats opaques, de prêts conditionnés, de routes à double sens : pour le commerce, certes, mais surtout pour extraire.

En octobre 2023, à Paris, l’Agence Internationale de l’Énergie réunissait experts, diplomates et stratèges autour d’un sujet que l’on aurait cru jusqu’ici réservé aux géologues : les minerais critiques. Lithium, cobalt, graphite, terres rares – autant de matériaux devenus indispensables aux technologies dites de transition : batteries, éoliennes, smartphones, véhicules électriques. Le hic ? L’Occident les veut, mais c’est la Chine – et dans une moindre mesure l’Australie – qui les détient, ou plutôt les contrôle, en amont comme en aval. Pas sur son propre sol, non : sur celui des autres, principalement en Afrique.

Pendant que l’Europe s’égare dans ses commissions éthiques et ses débats réglementaires, Pékin agit. De la RDC au Zimbabwe, du Gabon à la Guinée, la Chine verrouille ses approvisionnements. En RDC, elle tient les mines de cobalt ; au Zimbabwe, elle grignote le lithium ; au Gabon, elle lorgne le manganèse ; au Mali, c’est l’or qu’elle extrait en silence, parfois au nez et à la barbe des autorités locales. Souvent, celles-ci sont complices. Ou tétanisées. Ou les deux.

L’Australie, elle, avance à visage découvert, assumant son rôle de puissance extractive. La Chine, non. Elle se présente en investisseur neutre, en « partenaire Sud-Sud », tout en consolidant une hégémonie minérale d’un nouveau genre. Selon un rapport Bloomberg, la Chine contrôle aujourd’hui près de 70 % de la capacité mondiale de raffinage de ces minerais critiques, même quand elle ne les extrait pas directement. Elle a devancé l’Europe non seulement sur le terrain, mais aussi dans les laboratoires, les ports et les usines de traitement.

Face à cela, l’Europe ? Elle palabre. Elle prend acte. Elle rédige des rapports. Et surtout, elle recule. Longtemps bercée par une vision post-industrielle du monde, elle redécouvre avec stupeur que l’économie verte n’est pas faite de vent et d’eau pure, mais de minerais sales, extraits dans des conditions souvent indéfendables. Elle veut du « propre » mais refuse de salir ses mains. Alors ce sont d’autres qui creusent.

En Afrique, les peuples voient partir leur sous-sol sans espoir de développement durable. Les mines s’approfondissent, mais les écoles restent à ciel ouvert. L’Occident regarde, parfois sermonne, rarement agit. Quant à la Chine, elle avance, patiemment, stratégiquement, méthodiquement. Elle ne tire pas, elle achète. Elle ne colonise pas, elle signe. Elle ne parle pas de pillage, elle parle de partenariat.

Mais à force de discrétion, elle a peut-être fini par se trahir elle-même. L’Afrique n’est pas dupe. Et l’Europe, si elle veut avoir encore son mot à dire dans ce grand jeu minéral, ferait bien de cesser de croire qu’elle en est l’arbitre. Elle n’est plus que spectatrice. À elle de choisir si elle souhaite revenir sur le terrain, ou laisser à Pékin le monopole de cette nouvelle ruée vers l’or – et tout le reste.

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