Par Joseph Mundruma
Certes, Joël Lehman Sandoungout n’avait pas une interdiction formelle de quitter le territoire national, mais l’enquête en cours menée par les fins limiers de la Direction Générale des Recherches (DGR) aurait dû convaincre l’ancien directeur général de la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG), qu’il ne pouvait se rendre à l’étranger. Ce que certains agents de la Police de l’Air et des Frontières (PAF) lui ont signifié alors qu’il tentait de se rendre en Hexagone, le débarquant de fait de l’avion. Seulement, le vendredi dernier, le lendemain de son échange avec les policiers, il a pu quitter le territoire national à bord d’un vol de la compagnie Air France.
Selon des sources fiables, cette sortie inespérée aurait été facilitée par un “parapluie” au sein de la présidence de la République. Ce dernier l’aurait même rejoint à Paris, où ils prépareraient ensemble une rencontre avec le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, afin de trouver une éventuelle piste de sortie pour l’ex DG et lui éviter la prison.
Lors de son audition par la DGR, Joël Lehman Sandoungout a démenti toute implication dans plusieurs dossiers sensibles, dont certains sont marqués par des soupçons de malversations et de rétrocommissions. Parmi ces affaires complexes, on retrouve celle de Karpowership, un contrat controversé avec une entreprise turque, signé dans la précipitation, et dont les aspects techniques essentiels, tels que la gestion des boues toxiques et l’alimentation en gaz par Pérenco, n’avaient pas été résolus. Malgré les mises en garde des experts quant aux difficultés d’intégration du navire turc dans le réseau électrique gabonais, Joël Lehman Sandoungout a néanmoins validé l’accord, qui aurait fait tripler le coût du kilowattheure, passant de 56 FCFA à 124 FCFA. Un cauchemar pour les populations, qui aurait pu plonger le président de la Transition dans l’embarras.
Plus grave encore, la capacité supplémentaire de 150 MW promise par ce partenariat n’aurait pu être intégrée dans le réseau électrique de Libreville en raison d’obstacles techniques difficilement conjurables.
Quant à l’affaire des tickets EDAN, impliquant des accusations de vols et de manipulations frauduleuses, l’ex-directeur général aurait également tenté de se dédouaner lors de son audition. Face aux enquêteurs, il aurait nié toute responsabilité directe, tout en affirmant que ces allégations reposaient uniquement sur des éléments fournis par son directeur des systèmes d’information (DSI). Ce dernier, interrogé à son tour par les services de renseignement (B2), a formellement contredit les propos de Sandoungout, et a affirmé qu’aucune preuve tangible ne corroborent les déclarations de l’ex-directeur général.
Cette stratégie de dénégation systématique, ponctuée de mensonges et de désinformation, semble avoir caractérisé l’ensemble des dossiers gérés par Joël Lehman Sandoungout. Selon nos sources, lors de son audition, il aurait à plusieurs reprises affirmé se référer à une personne inconnue, une figure qui demeurerait dans l’ombre. Les enquêteurs de la DGR auraient tenté en vain de lui arracher le nom de cet individu influent, sans succès. Il faut dire que ce mystère alimente désormais les spéculations sur l’existence d’un réseau de protection au plus haut niveau de l’État, qui couvrirait l’ancien patron de la SEEG.
D’autre part, la gestion de la crise par la SEEG, notamment à travers ses multiples déclarations publiques, apparaît de plus en plus opaque. La société a été accusée lors de l’audition de Joël Lehman Sandoungout, d’avoir monté une campagne de désinformation visant à discréditer certaines entreprises et individus, comme dans le cas de SIGMA, pour laquelle des allégations de fraude ont été avancées sans aucune preuve solide. Selon des enquêtes de la DGR, de la DGSS et du B2, les accusations portées par la SEEG contre plusieurs se sont avérées sans fondement. Contrairement aux affirmations faites lors d’une conférence de presse, la société n’aurait jamais pu prouver que “tous les systèmes avaient été déconnectés”, ni que son chiffre d’affaires avait baissé en conséquence. Il ne s’agissait rien de plus que de mensonges vendus à l’opinion publique.
En dépit de ces révélations accablantes, Joël Lehman Sandoungout aurait persisté dans son refus d’assumer la moindre responsabilité, préférant rejeter la faute sur d’autres acteurs au sein de l’entreprise, d’une part; et institutionnels, d’autre part, notamment les ministères de l’Énergie, de l’Économie et du Budget. En ce sens, l’affaire Karpowership illustre parfaitement sa tentative de se soustraire à toute responsabilité directe, puisqu’il avait refusé de signer lui-même l’accord avec la partie turque, déléguant cette tâche à un collaborateur tout en orchestrant l’opération. “Je devais préparer l’arrivée du président à Koulamoutou”, aurait-il indiqué aux enquêteurs.
Ces seuls éléments révèlent avec précision les défaillances structurelles dans la gestion de la SEEG par Joël Lehman Sandoungout, mais aussi les mécanismes de protection dont bénéficient certaines figures clés, avec des ramifications possibles au sommet de l’État. Pour le moment, une seule question subsiste: le président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema serait-il prêt à fermer les yeux aux faits sus évoqués, et satisfaire la volonté du “parapluie” de Joël Lehman Sandoungout ? That is the question.