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Gabon/Transition: les observations et certitudes de Noé Mesmin KONDONDO A.

Par Kongossanews

La Transition conduite par le Général Brice Clotaire OLIGUI NGUEMA, suscite plusieurs réactions passionnées et clivées : il y a ceux qui parlent, parfois plus fort, et il y a ceux qui ne parlent pas mais qui n’en pensent pas moins. Peu alerte que d’autres, j’ai pris le temps d’écouter, d’observer et de réfléchir avant de partager sans passion ma modeste perception, point par point et sans prétendre être complet.

  • A ce jour, aucune voix au Gabon (pas que je sache) n’a ouvertement condamné l’irruption du CTRI au sommet de l’Etat. Conclusion : il y a consentement politique de toutes les couches de la société gabonaise. Motifs : la dégradation de la gouvernance du pays sous contrôle de ce qu’on a trivialement appelé la Young Team et la mauvaise organisation des dernières élections. C’est donc œcuménique : tout le monde est d’accord. Et le fait que le CTRI y soit parvenu sans effusion de sang force évidemment le respect. Malgré tout, c’est le jargon, cela s’appelle un coup d’Etat.

  • L’opération du CTRI a été planifiée dans le secret militaire. Elle a été saluée par la liesse populaire, il n’y a pas eu de révolution populaire comme on l’entend ici et là. Aucune information n’a révélé à ce jour l’implication des partis politiques, encore moins celle de la société civile. Dès lors, c’est l’affaire des seuls militaires de mener la danse durant la Transition. Toute revendication de cette Transition par un groupe de compatriotes fait passer le CTRI pour son bras armé aux ordres. Auquel cas, les gabonais auraient manqué un épisode et ce serait bien dommage.

  • Lors des audiences inaugurales, le Général OLIGUI NGUEMA avait encouragé les partis politiques et la société civile à continuer leurs activités. Aussi, tout parti qui gèle ses activités sous prétexte de la Transition n’a pas bien compris ; même s’il n’y a plus de majorité et d’opposition durant la Transition et que selon le CTRI la société civile ne doit pas s’occuper de politique. Or, il est notoirement connu que la société civile s’emploie à promouvoir plus de transparence dans les institutions, à encourager les dirigeants à une gouvernance plus responsable et inclusive dans les processus décisionnels ainsi que dans les projets pour le pays. Dans ces conditions, il est difficile pour la société civile de placer ses combats hors du champ politique lorsque la politique en impose. Nous ne pouvons oublier que le syndicaliste LOULA avait été élu Président à la tête du Brésil. C’est plutôt lorsque la société civile ne s’occupe que de politique et de diffamations allant jusqu’à la caricature, en oubliant ses missions sociétales apolitiques, que cela devient insoutenable et en agace plus d’un.

  • Le CTRI en deux mois a donné des signaux forts qui méritent d’être salués. Toutefois, il n’est pas bon qu’il se disperse dans plusieurs chantiers, au point de s’éloigner des principaux engagements du Président de la Transition et au risque de laisser croire que la Transition est la solution miracle à tous les maux du pays. A priori, le projet du CTRI ce n’est pas de reconstruire le pays. Mais c’est celui d’élaborer la Constitution, les lois électorale et foncière ainsi que de rétablir des institutions républicaines en toute transparence ; puis il rendra le pouvoir aux civils avec une économie en bonne santé. Toutefois, des institutions crédibles sans le retour de la confiance et sans réconciliation nationale, les résultats seront limités.

  • SI c’est aux militaires de mener la danse, cela implique que toute la nation soit éclairée sur les règles du jeu. En effet, si au départ les règles ne sont pas connues de tous les participants à un jeu, des incompréhensions apparaissent. C’est pourquoi les nominations ont déçu des compatriotes qui attendaient des changements de personnes, allant jusqu’à citer des noms supposés indésirables. Cette attitude est incompréhensible mais elle soulève, malgré tout, des observations :
  • dans aucun pays au monde, un groupe de citoyens s’arroge unilatéralement le droit d’exiger au détenteur du pouvoir (imperium, en latin) de nommer tel et de ne pas nommer tel autre ;
  • la notion de compétence, dans le cas du Gabon, devrait être associée à la nécessaire moralisation de la vie publique car l’on constate, à regret, que l’on peut être compétent même quand la moralité bat les records de la concussion ;
  • les gabonais, de toutes origines ou opinions (même avec des handicaps), voudraient croire qu’ils sont tous soumis aux mêmes critères d’accès aux fonctions mais cela n’est visiblement pas le cas, il faut le reconnaître ;
  • dans des localités comme Okondja, Ndendé, Mékambo, Mayoumba, Lastoursville, etc., l’on aurait recensé des cas où il y a au moins quatre (4) parlementaires issus d’une même circonscription ou d’un même groupe ethnolinguistique. Il y a eu aussi des familles nucléaires comprenant un membre du Gouvernement et un parlementaire ainsi que d’autres promus à la Présidence de la République quand ce n’est pas dans l’Administration centrale. Parfois c’est un même village qui rafle plusieurs postes. Cette situation pour le moins singulière et sans doute gênante n’a pas convaincu les gabonais quant à la rupture d’avec un passé qui montrait le verrouillage de l’Etat par un groupe de privilégiés.

  • La polémique des nominations cache mal le sempiternel problème gabonais du ‘‘partage du gâteau’’, au détriment des débats sur l’épanouissement du pays et des populations. A moins qu’il n’expose le besoin de certains de solder des rancœurs personnelles ou encore la volonté de faire punir les corrompus. En fait, il est difficile de penser que tout le zèle à l’égard de la Transition et ces combats de positionnement traduisent la volonté de faire du bénévolat pour la patrie. Un pays ne peut pas évoluer que grâce aux nominations. Il y a donc manifestement un mal plus profond à guérir afin de ne pas paralyser la dynamique de progrès. Que le Président de la Transition veuille s’en souvenir, Jésus entra triomphalement à Jérusalem mais il y mourut crucifié à la demande de la même population qui l’avait reçu quelques jours plus tôt avec des « Hosanna ô Fils de David, bénit soit celui qui vient au nom du Seigneur !» Cette population qui n’a pas varié réclama Barabbas à Pilate, à la place de Jésus. La vigilance s’impose donc face à la persistance des déviances incurables de notre société.

  • L’hostilité de certains à l’égard des pdgistes afin de les exclure de la Transition montre leur impatience à vouloir diviser la société gabonaise en deux camps : les pdgistes (tous corrompus) et une société civile propre (alliée du CTRI et de l’ancienne opposition). Cette étrange ambition n’intègre pas la présence de bons citoyens, voire des génies méconnus, dans tous ces camps ; y compris chez des gabonais sans étiquette particulière. D’autant que l’intelligence, la compétence et l’intégrité n’ont par essence ni patrie ni ethnie typiques. Les délits d’appartenance à tel camp ne relayent en rien la pensée du CTRI. Il est bon de se souvenir que les gabonais forment un seul peuple indivisible qui n’a pas de pays de rechange. Par contre, si l’un d’entre eux n’accepte pas cela, il est libre de quitter sa patrie pour une autre destination, comme ce fut le cas d’Abraham dans la Bible. Au sujet des malfaiteurs, c’est au CTRI de montrer la place qu’il accorde à une justice non sélective, non sensationnelle, rendue au nom du peuple gabonais et respectueuse des procédures judiciaires. D’autant que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes (non pas de celles d’autrui). Ce n’est pas un secret, plusieurs gabonais de tous bords trainent des casseroles. C’est la période de référence qui diffère : CICIBA, SOGADEL, 1990, 1993, EVEGAB, Air Gabon, dossier de la BAD, fêtes tournantes, dossier Belinga, dossier Gabon Télécom, 2009, dossier Veolia, gestion des projets structurants, stade Omnisports, Affaire Santullo, la Marina, l’ANGTI, GRAINE, dossier BR Sarl, route Ovan-Makokou, Annexe de l’Assemblée nationale, 2016, dossier Averda, dossier Covid-19, mission Bayeendè, sans oublier les crimes dits rituels, etc. Il faut s’interroger également pour savoir si du côté des Forces de Défense et de Sécurité, la gestion des deniers publics par certains haut-gradés a été irréprochable. Jésus déclara aux accusateurs de la femme infidèle : « Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre ».  Comme quoi : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Romains 3 : 23). Ainsi, lorsque nous voulons hausser le ton, pensons à Démosthène pour qui « la teneur du discours n’est rien à côté de la façon de le dire » et Mandela disait : « Même quand j’étais enfant, j’ai appris à vaincre mes adversaires sans les humilier ». Que la sagesse prévale.

  • Le courroux contre les pdgistes est dû à la dégradation des fondements socio-économiques d’un pays qui mérite mieux au regard de ses richesses rapportées à sa faible démographie, au déclin de l’Administration publique et aux détournements sans fin des deniers publics, à l’état d’avilissement du contrat social, au chômage massif et peurs légitimes des jeunes, à la situation précaire des retraités ayant servi la patrie et à l’état déplorable d’une ruralité pourtant accablée par le conflit homme-éléphant et l’état des routes. Sans oublier le mélange des genres entre le cabinet du Distingué Camarade Président et les affaires de la République, l’ingérence dans les affaires d’Etat d’une Première Dame sans rôle constitutionnel et le mépris affiché de ses protégés à l’égard des hauts commis de l’Etat et des Officiers supérieurs des Forces de Défense et de Sécurité. Quoiqu’il en soit, la répartition des richesses au Gabon et le grand chantier des mentalités restent un grand défi. Et, c’est indéniable, le PDG qui a longtemps gouverné le pays a la plus grande responsabilité de cette situation. Seule la réconciliation nationale pourra guérir ce pays, grâce au pardon du peuple souverain. Or, le pardon est usuellement accordé à celui qui le sollicite en regrettant ses déboires. Ce qui n’avait malencontreusement pas été clairement exprimé lors du communiqué du PDG, de sorte que la persistance des désapprobations devienne compréhensible. En effet, le peuple attendait bien plus que cette formule lapidaire « Tout n’avait pas été mauvais» qui condamne post mortem Omar BONGO ONDIMBA offusqué lui-même, au soir de son magistère, de ce que les politiques avaient fait du Gabon. Ali BONGO ONDIMBA établit le même réquisitoire dans son discours commémoratif du 08 juin 2019. Qui a raison alors ? Dans les propositions soumises au CTRI pour la nomination des parlementaires, chaque parti politique a recyclé les comportements décriés ; prouvant ainsi que cette plaie nationale n’est pas la marque du PDG seul. C’est pourquoi, en pareille période, sauf mauvaise foi avérée, les postures devraient laisser la place à l’humilité afin de parvenir au pardon puis à la réconciliation nationale. Omar BONGO eut ce courage en 1990 et André MBA OBAME l’eut en 2009. Il s’agit ici de réparer un pays à léguer aux générations suivantes et non pas des égos à ménager. C’est trop important pour devoir donc s’y résoudre concrètement

  • S’agissant des critiques faites aux parlementaires, le principe de la séparation des pouvoirs depuis Montesquieu conçoit que le Parlement se limite à fabriquer la loi concurremment avec l’Exécutif, à consentir l’impôt, à contrôler l’action du Gouvernement et à évaluer les politiques publiques. Si le Parlement s’y est employé de manière perfectible, il est important de rappeler, à juste titre, que c’est au pouvoir judicaire, et non pas au Parlement, de sanctionner les transgressions de la loi. Le discours du Président de la Transition lors de la prestation de serment, citant l’ancien Président ghanéen RAWLINGS, en dit long à ce sujet : « Quand le peuple est écrasé par ses dirigeants avec la complicité des juges (pas des parlementaires), c’est l’armée qui lui rend sa liberté et sa dignité. ». Il est certes normal pour des citoyens attentifs au fonctionnement des institutions de leur pays de donner de la voix mais il est davantage préférable de parler vrai pour ne pas brouiller la compréhension des citoyens. D’ailleurs, s’il y a une telle liberté d’expression, c’est bien la preuve aussi que la démocratie existe au Gabon. A propos de la démocratie, il n’existe point de démocratie parfaite et achevée. Par exemple, la démocratie au Gabon est bien meilleure qu’elle le fut à Athènes (en Grèce). En effet, dans cette cité grecque, l’esclavage existait pourtant mais ce fut quand même la démocratie. De même, lorsque celle-ci gagna le reste de l’Europe, et plus tard les USA, les femmes n’avaient pas encore le droit de vote jusqu’à la période de la deuxième guerre mondiale. Que penser de l’Angleterre qui est à ce jour une monarchie démocratique ? Autant dire un oxymore, valable aussi pour l’Espagne et la Norvège. Le racisme, quant à lui, perdure en Occident malgré la démocratie. Donc la démocratie est évolutive, c’est aux aspirations et aux luttes concrètes des peuples de la parfaire dans la trajectoire de leur propre histoire. Les parlementaires seuls n’y sont pour rien.

  • Au titre des contraintes institutionnelles, les parlementaires remplissent la charge conformément à une Constitution disponible et à un règlement intérieur. Ainsi, lors de l’examen des textes pour adoption, l’issue inévitable des débats pourtant âpres reste le vote. Et c’est la majorité des votes qui consacre l’adoption, avec une formule appropriée figurant à l’en-tête du texte : « l’Assemblée Nationale et le Sénat ont délibéré et adopté». La tradition dans cette formule infère la collégialité de chacune des chambres visant à niveler les arguments des débats. D’ailleurs, nul ne peut exhiber une loi au dos de laquelle se trouve listé le nombre des différents votes (‘‘abstention’’, ‘‘contre’’ ou ‘‘pour’’). Pourtant elle reste la loi du pays, perfectible, ou peut être abolie à tous moments voire, pourquoi pas, tomber en désuétude. S’agissant du vote, la dernière Constitution disposait que tout mandat impératif était nul. Le mandat impératif c’est l’obligation faite à un parlementaire de voter dans un sens ou dans l’autre et non selon sa propre conscience. La Constitution en interdisait l’usage. Or, la même Constitution stipulait que tout parlementaire qui perd la qualité de militant du parti qui l’a présenté à l’élection perd automatiquement son mandat. Cette automaticité favorisait tous les partis (pas que le PDG) pour orienter les votes de leurs élus. Dans ces conditions, comment ne pas voter dans le sens de la consigne de vote du parti (donc mandat impératif) ? Cela n’est d’ailleurs pas propre au PDG mais à tous les partis politiques ; c’est l’héritage discutable de la Vème république en France. Quoiqu’il en soit, attendons de voir comment ceux qui condamnaient cela rempliront à leur tour cette charge à l’opposé de la feuille de route de la Transition. Bon vent !

  • La Charte, élaborée de bonne foi par les soins du CTRI, est le texte solennel de la période de la Transition. Malgré cela, la Charte subit et pourrait subir encore des réaménagements au point de faire penser que la Transition retouche constamment sa ‘‘Constitution’’. En outre, les ratés de son application dans les faits remuent la société civile. Cela a été par exemple le cas avec la nomination des parlementaires au-delà du nombre prévu dans la Charte, avant promulgation même des modifications. A ce sujet, l’on peut toujours légitimement s’interroger sur le vrai mobile (inconnu à ce jour) de la limitation par le CTRI, mais aussi de la demande d’augmentation faite par les Présidents des deux chambres du Parlement, du nombre des parlementaires qui ne sont d’ailleurs rattachés à aucun siège sur le territoire national. Au fait, toute l’attention des gabonais semble s’être focalisée sur les articles de la Charte portant nominations des parlementaires. En oubliant que cette Charte a modifié le drapeau gabonais à l’article 4 car les ‘‘bandes horizontales d’égale dimension’’ (article 2 de la Constitution de 1991) sont désormais des ‘‘bandes verticales d’égale dimension’’. Elle a renvoyé au domaine de la loi (article 4), au même titre que les armoiries de la République, le sceau de la République (‘‘la Maternité Allaitant’’) habituellement proclamé dans la Constitution (article 2 de la Constitution de 1991). Les pouvoirs et prérogatives du Président de la République (Constitution de 1991) sont systématiquement reportés sur le Président de la Transition par assimilation mécanique (article 36 de la Charte). Quand bien même, la Charte qui stipule clairement que le Président de la Transition remplit les fonctions de Chef de l’Etat (article 35) ne précise nulle part que le Président de la Transition est Président de la République. Dans ce sens, la remarque sur le cumul de fonctions du Président de la Transition (article 35 de la Charte) ne saurait laisser indifférent quand la Constitution de 1991 en interdit la pratique (article 14) au Président de la République. En outre, les prérogatives du Premier Ministre de la Transition (cité uniquement à l’article 50) sont inconnues et, contrairement à l’article 31 de la Constitution du 26 mars 1991, la Charte ne fait mention nulle part d’un Chef du Gouvernement (Gouvernement cité en bloc à l’article 43) d’autant plus que chaque membre du Gouvernement rend directement compte (sans intermédiaire) au Président de la Transition. Donc la Charte n’investit pas le Premier Ministre de son rôle traditionnel de partager le pouvoir Exécutif avec la première Autorité du pays (article 8 de la Constitution de 1991). Dans la même veine, le Premier Ministre ne contribue plus à la détermination de la politique de la nation (article 8 de la Constitution de 1991) car c’est désormais le CNT (article 42 de la Charte) dont le Premier Ministre n’est pas membre. La Charte fait ainsi de lui un Premier Ministre de fait qui ne peut d’ailleurs suppléer le Président de la Transition, sous aucun prétexte. Devant le Parlement, ce Premier Ministre de fait présente seulement pour adoption (sans débat) le plan d’actions et la feuille de route de la Transition et non pas un programme de politique général (avec débat). Par ailleurs, la Charte fixe le nombre d’Organes de la Transition qui limite le pouvoir Judiciaire, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, à la seule Cour Constitutionnelle de la Transition ; rendant dès lors incompréhensible la tenue d’une session du Conseil Supérieur de la Magistrature. L’on pourrait aussi trouver difficile de justifier qu’à l’heure d’un règne militaire, la présence des militaires dans le Parlement n’ait pas été préalablement fixée par la Charte et qu’elle soit, dans les faits, finalement réduite à la portion congrue. Il se pourrait que la modification de cette Charte ne soit pas la dernière surtout que, fait encore plus curieux, le Communiqué du CTRI n° 023 du 25 octobre parle d’un décret du Président de la Transition nommant le Président du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) avec tous les membres du Bureau. Alors que le CESE n’existe nulle part dans les Organes de la Transition (article 34), sauf erreur de notre part. Dans tous les cas, ce qui devrait compter ce n’est pas uniquement le fait que les décisions du CTRI soient compréhensibles pour lui-même. C’est plutôt la façon dont celles-ci peuvent impacter le pays et la manière dont elles pourraient être perçues par toutes les enclaves communautaires continentales puis, au-delà, à l’échelle mondiale. D’autant plus que le Gabon ne saurait se soustraire aux dynamiques des nombreux enjeux du monde.

  • Si le rythme de travail et la discipline imprimés par le CTRI sont admirables, le style de coordination gagnerait à améliorer sa stratégie de communication. En effet, il est visible que sur la Charte, sur la durée de la Transition, sur le format du dialogue national imminent, sur la Constituante, sur le sort des véhicules saisis, sur l’approche économique du pays et le financement de l’économie, etc. les propos des uns et des autres (le cabinet du Président de la Transition, le Président de la Transition lui-même, le Premier Ministre, les autres membres du Gouvernement et le Parlement) divergent tantôt sommairement tantôt notoirement. Au passage, ce qui préoccupe vraiment les gabonais c’est la façon de sortir le pays de son enlisement actuel et non pas des informations sensationnelles sur le salaire moyen d’un parlementaire par mois. Un salaire moyen calculé d’ailleurs par la méthode de la moyenne arithmétique (sommes des termes divisée par le nombre des termes). En Mathématiques, la moyenne arithmétique c’est le résumé d’une série statistique quantitative sous forme d’un indicateur chiffré qui permet d’apprécier une tendance centrale pour toute une population (cas des parlementaires). Mais le principal défaut de cette méthode c’est d’être influencée par les valeurs extrêmes de la série (par exemple les fonds de souveraineté) au point que la fameuse moyenne ne soit plus représentative de la réalité étudiée parce qu’elle est tirée par le haut à cause de ces valeurs extrêmes. Dans ce sens, on aurait en fait dû parler de salaire médian et non pas de salaire moyen. C’est donc très différent du gain mensuel pris pour salaire comme relayé malheureusement abondamment par les media. L’ouverture de cette boîte de Pandore fait désormais circuler de manière indélicate, dans les réseaux sociaux, les montants mensuels des salaires réels (hors avantages divers) des autres catégories d’agents paradoxalement mieux nantis que les parlementaires et émargeant au budget de l’Etat. Certains gagneraient même dix (10) fois plus. Voilà pourquoi il est important que certaines personnalités se ressaisissent et se concentrent sur ce qu’il y a de mieux à faire pour permettre un redressement rapide du pays. Les économies les plus importantes à opérer dans ce pays ne sont pas dans les maigres revenus des parlementaires, loin de là !  De plus, ce n’est ni cette nomenclature de dépenses qui a plombé le développement du pays ni sa suppression ou sa diminution qui assurera des effets vertueux d’envergure sur l’économie du Gabon. Tous les regards sont plutôt tournés vers le ministère de l’Economie, en attendant sa stratégie et ses leviers ayant des effets multiplicateurs pour la création de richesses.

  • Que dire des procédures ? Il serait souhaitable de les formaliser et de les respecter. Par exemple, le peuple a observé que le Président de la Transition avait prêté serment sur la Charte quand les membres du Gouvernement ainsi que le Vice-président l’avaient fait appuyés sur l’article 90 d’une Constitution réputée inexistante. Il n’avait pas non plus échappé aux gabonais que la Cour Constitutionnelle dissoute avait été temporairement réhabilitée pour les cérémonies de prestation de serment. Au constat, il ne s’agissait plus de la même Cour Constitutionnelle ni dans sa composition ni dans son ancrage légal. Sa longévité, après les cérémonies, n’ayant même pas excédé une semaine, fait penser que le pays a connu trois Cours Constitutionnelles en moins de 10 jours : celle de MBOURANTSOUO, celle de TCHIBINDA et celle de ABAGA. En outre, les bureaux des deux chambres du Parlement ont été mis en place avant que les parlementaires dont ils sont supposés être l’émanation soient connus. Ces deux bureaux ont organisé une ‘‘plénière’’ (sans les parlementaires), pour adopter en ‘‘Congrès’’ (sans les parlementaires) des propositions de modification de la Charte. Aucun texte connu de l’architecture juridique actuelle au Gabon ne prescrit de telles procédures. Et chaque chambre du Parlement qui aurait dû adopter son Règlement intérieur lors de sa session inaugurale du 31 octobre (article 49 de la Charte) s’est délestée de cette obligation. Par ailleurs, depuis le premier communiqué fondateur du CTRI, toutes les institutions furent dissoutes notamment : (…) le Sénat, l’Assemblée Nationale, la Cour Constitutionnelle, le CESE. En utilisant l’expression « notamment », le CTRI semblait indiquer qu’il en citait quelques-unes mais que toutes les institutions sont effectivement dissoutes. Or, dans les faits, seules les institutions citées ont retenu l’attention de la nation et ont été renouvelées. Tandis que le Conseil d’Etat, la Cour de Cassation, la Cour des Comptes et le Conseil National de la Démocratie (CND), etc. continuent allègrement leur fonctionnement régulier. Cela laisse penser que soit le communiqué du CTRI était perfectible, soit le CTRI lui-même en a relativisé la teneur, volontairement à l’insu des gabonais. A l’inverse, autant dire que ce communiqué n’avait pas dissout les Collectivités locales, remplacées progressivement par des Délégations spéciales. Pas un communiqué non plus pour dissoudre la Constitution mais c’est la Cour Constitutionnelle qui le fut. La première est l’outil juridique ; la seconde en est le juge et, pour autant, la récusation d’un juge ne vaut pas nécessairement disqualification de la loi dont il se sert pour juger. Malgré tout, c’est déjà acté et nous devons nous contenter désormais d’un arbitrage inconfortable entre la Charte de la Transition et la Constitution du 26 mars 1991 (articles 35, 42, 51, 53 et 61 de la Charte).

  • Des arrestations mais aussi des saisies de véhicules ainsi que de valises contenant des espèces ont été effectuées. Les gabonais saluent bruyamment ces efforts aussi mais ils restent attentifs, à juste titre. Si la volonté indéfectible du CTRI de faire les choses  de façon très pratique est indiscutable, il y a tout de même une préoccupation à propos du respect des procédures judiciaires. En effet, distribuer avant le dénouement d’une procédure judiciaire le butin des saisies, idéalement destiné à être sous scellé, pourrait soulever des questions sur les pratiques d’un état de droit auquel le CTRI affirme être indéniablement attaché. Cette inquiétude concerne autant l’argent que, en l’absence d’une disposition de la Charte, l’on est raisonnablement porté à croire qu’il aurait dû être placé dans un compte séquestre à la Caisse de Dépôts et de Consignation (CDC) ; non pas au Trésor public, encore moins dans une banque commerciale. De sorte que, lors du dénouement de la procédure judiciaire, le montant précis à dire d’huissier soit inscrit en toute transparence dans la loi de finances pour utilisation. Sur Facebook d’ailleurs, certains gabonais visiblement surpris se sont demandé si le chèque de sept (7) milliards, reçu par le Premier Ministre, était un don fait au Gouvernement ou provenait des moyens de l’Etat devant figurer préalablement dans une inscription budgétaire. Quant aux auditions, sauf meilleur avis contraire, il est souhaitable de veiller au secret de l’enquête et de l’instruction judiciaire prescrit dans le Code de procédure pénale (article 4). En effet, et contre toutes émotions, il est question d’assurer la présomption d’innocence des personnes mises en cause. D’autant plus que c’est un droit fondamental résultant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que de l’article 7, alinéa 1b, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et auxquelles le peuple gabonais affirme solennellement être attaché, en alinéa 2 du Préambule de la Constitution du 26 mars 1991. Cela ne contrarie d’ailleurs point la Charte de la Transition au Préambule de laquelle les cas de violations des Droits de l’Homme et des libertés individuelles contribuent de justifier l’adoption.

  • S’agissant de la presse, lors des audiences inaugurales avec le Président de la Transition, elle a dit qu’elle ne livrait pas la bonne information au peuple par crainte des représailles du pouvoir de l’époque. Or, chacun peut constater la regrettable survivance des mêmes réflexes dans la période de la Transition. Malgré la relative onction du CTRI pour la liberté d’expression, contrairement à des régimes militaires totalitaires sous d’autres cieux. La rigueur des journalistes parait donc impérative afin de rompre avec le culte de la personnalité mais aussi avec les sorties de piste relevées par le patron de la HAC, lors du passage de leur Ministre de tutelle à la HAC.

  • L’ex-Président Ali BONGO ONDIMBA, à qui il convient de souhaiter le rétablissement définitif et bien meilleure santé, ne saurait être passé sous silence. L’on peut retenir contre son bilan, au-delà des lendemains électoraux toujours tumultueux, les vifs reproches de la multitude des gabonais accablés par une grave dégradation de leurs conditions de vie accélérée aussi, après son AVC, par quelques cleptomanes aux affaires. Le poids écrasant de la crise sociale qui en découlait a conduit certains à élaborer un ratio des réalisations des deux mandats sur les promesses du pouvoir, pour en conclure à un échec. Aujourd’hui, il est probable que le coup d’Etat l’ait soulagé physiquement, tout en sauvant le pays d’un entourage présidentiel sournois. Pour ma part, malgré ces imperfections qui existent aussi dans les grands pays, il me plait à titre personnel de lui rendre un respectueux Hommage pour ses réalisations fortes. En effet, la mesure d’interdiction d’exportation du bois en grumes (10 000 emplois perdus en France), afin d’en favoriser la transformation locale ainsi que la part induite de diversification de l’économie et de création d’emplois, c’est son œuvre et ce n’est pas rien. La Zone Economique Spéciale de Nkok (plus de 20 000 emplois) est une immense réalisation également. Nous pouvons citer pêle-mêle : quelques écoles primaires, des centres d’instruction militaire et le Centre international multisectoriel d’enseignement et de formation de Nkok, des hôpitaux CHU, la CNAMGS, des stades, quelques ponts, le bitumage de certains tronçons routiers et le leadership climat. Il convient à ce stade enfin de déplorer fortement le déficit de loyauté dont il a été victime de la part de nombreux collaborateurs dans la gestion de plusieurs dossiers ainsi que les conséquences dommageables des pesanteurs d’une Françafrique aux manœuvres imperceptibles. Bref, le Gabon survivra à tous et c’est l’essentiel.

  • Sur la nature du régime politique de la Transition, le Gabon est-il dans un régime politique d’exception, est-il en fait dans l’Etat d’exception comme attesté ? Ne serait-il pas plutôt dans un fonctionnement temporaire de nécessité, comme situation de fait ? Ce questionnement est loin d’être léger et naïf. En effet, en une définition opératoire, l’Etat d’exception instaure dans un pays la suspension temporaire de l’application des lois qui protègent les libertés, en mettant en place des dispositifs législatifs dérogatoires, conformément à des dispositions de sa Constitution qui le prévoient. Autrement dit, l’Etat d’exception est prévu dans une Constitution et vise à se dérober de l’Etat de droit pour la durée des circonstances jugées exceptionnelles par un Gouvernement. Auquel cas, l’Etat peut asseoir son fonctionnement sur des formats juridiques alternatifs tels que l’état d’urgence (articles 25, 47 et 50 de la Constitution de 1991), l’état de siège (articles 25, 47 et 50 de la Constitution de 1991), l’état de guerre ou la loi martiale. C’est donc l’ensemble de la légalité normale qui disparaît avec l’irruption de l’exceptionnel. En considération de cet argument, il est difficile de soutenir que la Transition au Gabon épouse l’une de ces différentes formes d’organisation ; même si le prétexte du coup d’Etat du CTRI pour la sauvegarde de l’Etat a été politiquement opportun. La Charte, pour sa part, n’a pas vocation à se dérober de l’Etat de droit dont elle fait, au contraire, la promotion (article 2) concomitamment à la Constitution du 26 mars 1991 (article 12). L’inquiétude tient au fait que lors de la prestation de serment, le Général-Président a dit “Je jure devant Dieu et le peuple gabonais de préserver en toute fidélité le régime républicain” et “de préserver les acquis de la démocratie“. Si ce serment confirme l’Etat d’exception, sur quel format juridique alternatif doit concrètement reposer alors la Transition ? Je ne trouve pas de réponse à mon niveau, du fait que sur ce sujet, la Charte, du reste en son article 3, proclame solennellement que «  Le Gabon est une République unie et indivisible, souveraine, laïque, sociale et démocratique. ». S’il y a vide juridique, il serait donc souhaitable d’appeler l’attention des constitutionalistes sur la nécessité de qualifier juridiquement un tel contexte particulier. Le Général De Gaulle dût s’en tenir à un Gouvernement Provisoire dont il était le Président (pas Président de la République) afin de préparer l’avènement de la Vème République. Ce n’est pas du tout anodin.

En sachant que la critique est aisée et l’art difficile, il est souvent bon de garder la mesure en toutes choses. Un vieux sage sur son lit de mort avait dit que « C’est des graines de nos choix les plus infimes que poussent souvent les arbres de nos plus grandes peines ». Pensons-y tous.

                                                                                              Noé Mesmin KONDONDO  A.

                                                                                             Ancien Député (XIIIème Législature),

                                                                           3ème siège du département de Mulundu (Cf. Lastoursville).

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